Ce petit chemin, qui sent la noisette...

31 janvier 2015

Ce petit chemin, qui sent la noisette...

A l’école forestière, on nous enseignait une matière qui s’appelait la dendrologie, bigre. En fait, il s’agissait de prendre les arbres un par un, et de nous les décrire. Un bon bouquin sur les arbres aurait pu faire l’affaire, mais alors le « prof de dendro » aurait été au chômage…

On découvrait alors que les bourgeons pouvaient être acuminés, et que les feuilles palmées ou palmatilobées, ce n’était pas pareil. Moins curieux à l’époque de la sonorité des mots, ces grandes séances descriptives m’ennuyaient beaucoup !

Peut-être par revanche sur mes mauvaises notes d’alors, je prends plaisir aujourd’hui à retrouver les arbres, avec une approche plus affective, la description du détail de bourgeons « fusiformes », « oblongs », ou « globuleux » deviendrait alors un aboutissement dans ma découverte, plutôt que d’être le premier passage obligé et forcé.

Bref, trêve de bavardage, partons aujourd’hui sur les traces du noisetier, familier, tout le monde connait. A un des angles de la maison familiale trônaient deux noisetiers, un gros, et un petit. Le premier donnait beaucoup de noisettes, bien grosses, le deuxième était peu généreux, soucieux surtout peut-être d’arriver à coexister avec un compagnon plus fort que lui, c’est des choses qu’arrivent !

Les deux noisetiers m’ont valu pas mal d’heures de « grimpe ». Seraient-ils à l’origine de ma destinée professionnelle ? N’exagérons rien, tous les mômes ne deviennent pas élagueurs, par contre la plupart grimpent bien dans les arbres. Peut-être que le virus est venu par la consommation excessive de noisettes…

Sans faire le vieux ronchon, les noisettes étaient des stars à l’époque, comme les noix, les châtaignes. Plus grands, ayant quitté la maison familiale, nous repartions de chez les parents avec des quantités de noisettes que nous finissions par avoir du mal à écouler, entre nos dents, entre deux visites chez Papa Maman !

Aujourd’hui les mômes te cassent plus les noix à vouloir acheter des bonbons, qu’à ce que tu leur casses leur noisette à la pierre sans l’écrabouiller, tout un art, j’te leur mettrais bien une châtaigne… je plaisante.

Pourtant ces noisettes elles aussi oubliées, ne nous ont jamais abandonnés. On a connu les « Nuts », hum… ben ouais tiens pourquoi ils ont arrêtés les « Nuts », le chocolat aux noisettes est toujours là, mais bon, ça fait pas très « jeuns », seulement voilà, comment passer à côté du Nutella…

Un produit de malade ce truc, les sous marques se cassent la gueule les unes après les autres, personne ne résiste au secret du Nutella. Dedans, les mêmes cochonneries qu’ailleurs, alors où se fait la différence…, et ben oui, sur les noisettes. Toujours la même origine, toujours le même procédé industriel pour les chouchouter, et à l’arrivée, toujours le même goût de Nutella. Les noisettes sont sauvées, grâce au Nutella, enfin les noisettes de Turquie, facilement trois quart de la production mondiale, deux millions de turcs qui en vivent.

Pour rester encore deux secondes dans l’enfance, si les noisetiers sont à l’origine de quelques vocations d’élagueurs, ils ont du inspirer aussi pas mal de futurs archers, bon sang, on en a tiré des flèches. Je passe rapidement sur les toiles d’araignées en enlevant le limbe entre les nervures des feuilles, les sifflets, les bâtons, les dessins à l’opinel en retirant délicatement l’écorce fraîche.

L’âge adulte arrive, là, on commence à en recevoir pas mal aussi, des flèches, facile, je sais. Un jour, en ballade, un autre noisetier a décidé le marquer le coup, et le coup, de baguette, je l’ai pris dans l’œil, griffures sur la cornée, et l’œil encore marqué trente ans plus tard, quand on vous dit de vous méfier des petits…

Bien, plutôt que de nous préoccuper de la baguette de noisetier du sourcier, nous allons, fidèles à nos habitudes, partir à la source du noisetier. Il serait une des rares végétaux de l’ère secondaire à avoir survécu jusqu’à nos jours, bluffant le petit noisetier. Très présent au néolithique, couvrant de larges territoires, concurrençant les grandes futaies d’épicéas, il accompagne l’homme, avec ses fruits, bien sûr, et son bois.

Est-ce parce qu’il vient du fond des temps, le noisetier a considérablement nourri l’imaginaire des hommes, pour devenir un arbre de légende. Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités, essayons de relever les plus marquants.

Le bâton que donne Mercure aux hommes, autour duquel s’enroule deux serpents, serait en noisetier, mais tout le monde n’est pas d’accord.

Les Celtes, eux, cherchaient un noisetier dans la forêt, veillant sur une source. Les druides venaient lui prélever leurs baguettes, bientôt magiques, divinatoires. On retrouve cette baguette magique dans les mains des fées, des sorcières, qui donnaient aussi dans le bâton, de noisetier toujours, pour en faire leurs manches à balais.

Quant aux pouvoirs magiques attribués au noisetier, la liste est longue. Pour les grecs, il développait le discernement, pour les germains, il symbolise la justice divine, pour les gaulois, la fertilité. Ce dernier point le conduit à être souvent présent dans les rites accompagnant le mariage : à Hanovre, la mariée jetait des noisettes à la foule, trois jours après le mariage, pour assurer une union féconde. En Europe du Nord, on jette encore des noisettes sur les jeunes mariés. La noisette était réputée remédier à l’impuissance. Curieux, aujourd’hui, l’huile de noisette est considérée comme aphrodisiaque !

Quant aux vertus thérapeutiques, avérées ou non, elles montrent à quel point le noisetier est pour nous un compagnon de longue date. On ne va pas partir dans un cours de phytothérapie, on risquerait la migraine, ce serait dommage. Dans les croyances du passé, ça ne mégotait pas : coliques néphrétiques, calvitie, impuissance, folies, luxations, fractures, verrues, eczéma, hémorragies, maux de dents, et encore j’ai fait pleins d’impasses !

Et aujourd’hui, le phytothérapeute moderne a retenu quoi ? Des omégas 3 contre le mauvais cholestérol, de la vitamine E contre le vieillissement cellulaire, des fibres contre le cancer du colon, du cuivre, du fer, du phosphore et de la vitamine B contre tout un tas de trucs, bref, c’est plus « manger des pommes », c’est « manger des noisettes ». En fait les deux mélangés, c’est super bon, avec un peu d’endives, lardons, croutons, bon là j’arrête, pas question de donner dans le blog culinaire, y a surproduction.

Pour en finir, avec les noisettes avant de vous les briser, j’ai lu quelque part que c’était bon pour la croissance des mômes. Le problème avec le Nutella, c’est tout ce qu’il y a, mélangé avec les noisettes. Evidemment, ils s’en tapent, ah la la, depuis qu’ils ne marchent plus à la baguette…