projetons-nous dans les bois...!

Intéressons-nous, voulons-nous aujourd’hui, au mot « projet ». Mot à consonance ô combien positive. Si je vous dis « projet », vous me répondez spontanément : avenir, espoir, mariage, maison, enfant, futur (plutôt meilleur tant qu’à faire !).

Aparté « politique » peut-être ? Des opposants politiques vont s’affronter. « Vous n’avez pas de projet ! ». « Pour se mettre d’accord, il faut se mettre d’abord d’accord sur un projet ! ». Balivernes ! Le projet, tout le monde s’en contrefout, ne leur en déplaise… Et puis, « notre projet est solide ! », re-baliverne. Un projet s’avérera solide que dans sa phase de mise en application. Avant, on peut toujours « projeter », ça ne coûte pas cher. L’avenir, lui, reste plus incertain. Beaucoup de pros au début et à la fin, tout à jeter ! Fin de la parenthèse.

En matière de pédagogie, le « projet » a déjà une longue histoire. D’ailleurs on parle de la « pédagogie du projet ». Kesako ? Mais si, rappelez-vous, ce prof, plutôt dynamique, plutôt sympa, qui, en début année scolaire, vous a tenu à peu près ce langage : « cette année, toute notre formation, toutes les matières enseignées, auront un fil conducteur, une colonne vertébrale. Tout tournera autour d’un projet que nous allons monter ensemble ! »

Bon, vous avez oublié. C’est normal. La plupart du temps ça partait vite en sucette, mais l’intention de départ était bonne. Le projet pouvait être la réalisation d’un jardin potager, monter un spectacle, construire une machine, un robot, échanger avec une classe d’un pays étranger, une classe verte. Mais la palme d’or, c’était souvent…, un voyage ! Choisir une destination, trouver des fonds, des contacts, organiser les journées. Pas mieux qu’une carotte-voyage pour faire avancer les ânes que nous étions !

Le « voyage scolaire », c’est devenu un must dans les écoles. Etre une école aujourd’hui sans avoir sur sa plaquette un ou des voyages ? Has been complet ! Mais ces moult « voyages » relèvent-ils encore de la pédagogie du projet ? N’auraient-ils pas pris plutôt un goût de voyage organisé, vachement plus facile à organiser d’ailleurs ! Explications.

Dans la pédagogie par le projet, restons sur un voyage, le voyage donc, ce n’est que la carotte pour faire avancer. Ce voyage, il faut le construire, le définir, pour se faire travailler en équipe, par groupe. Le projet est là pour fédérer la classe, fédérer l’équipe pédagogique. Le projet n’est que l’aboutissement. La pédagogie s’intéresse fortement et surtout aux moyens d’y parvenir, y compris en vendant des châtaignes ou de la pâtisserie. Des pâtisseries à la châtaigne ? Si vous voulez !

Nos « voyages scolaires » d’aujourd’hui ? Là, on serait plutôt dans du tout cuit, sûr d’y parvenir. Les sous ? Bah, une bonne vieille demande de subvention, régionale ou européenne. Une élaboration de programme ? T’embêtes pas, quand on arrive là-bas, tout est prévu. Plutôt du voyage organisé tout ça et pas trop de « pédagogie de projet ».

Marrant ça, parce que des fois, si l’on sort de notre contexte pédagogique, des projets ont véritablement comme objectif, comme nécessité, d’arriver à des réalisations concrètes, dont on a grandement besoin. Supposons un projet qui voudrait uniformiser les pratiques sylvicoles en Europe, ou alors homogénéiser la couverture sociale des bucherons en Europe ou alors former des formateurs bucherons en Europe. Cette fois, la mise en œuvre, le déroulé d’un projet est certes intéressant. Mais dans ce cas, ce qui devrait primer  c’est bien l’aboutissement, le résultat. On n’est plus dans le pédagogique. La carotte n’est plus là que pour attirer. Ce qui compte surtout, c’est le pré dans lequel on veut arriver.

Le « projet », dans ce contexte-là, est très à la mode aujourd’hui. On pourrait dire que « les projets fleurissent ». Osons ce parallèle arboricole. En matière de fruit, les fleurs, c’est bien joli, mais en l’occurrence, les fruits, c’est mieux. Certes l’âne ne dédaigne pas marcher sur le chemin rocailleux attiré par cette carotte qui pendouille au bout de la ficelle. Si ce chemin mène jusqu’à un pré où l’herbe est meilleure, plus grasse, il n’en voudra à personne et s’y prélassera goulument.

Un peu perfide je l’avoue, je parle depuis que j’écris cette bafouille de la pédagogie du projet. A ne pas confondre avec le projet pédagogique. Cette fois, il peut s’agir du projet de toute une école, ou tout du moins d’une équipe pédagogique. Et là, dans mon petit laïus, voilà que la boucle se boucle et plus question de la boucler. Un projet pédagogique, c’est un collectif, qui doit se créer, se mouvoir, réagir, s’étriper, s’opposer avant de trouver un consensus autour de valeurs. Bref, nous voilà en pleine politique, cette fois dans le noble sens du terme.

Pour finir, peut-être un consensus. Nous aimons tous faire des projets. Nous aimons tous aussi sans doute, arriver quelque part !