les 10 organes de sécurité.

Si  vous êtes un ancien élève d’une école forestière, ou de bucheronnage, ou d’élagage, vous n’avez pas pu échapper à un exercice, un devoir scolaire incontournable :

« Citez les 10 organes de sécurité d’une tronçonneuse ».

Impossible d’en réchapper. A moins de n’être jamais venu en cours, avoir fourni un certificat médical comme quoi vous seriez en fait unijambiste. Et en plus, si l’on peut vous joindre par téléphone, par mail, vous êtes cuit.

Cloitré dans votre maison ? Hum, elle faut qu’elle soit garantie sans tunnel, sans passage secret, porte dérobée, au risque de voir au milieu du salon, une trappe se soulever, et là, voir un formateur surgir, le doigt accusateur pointé sur vous et vous assénant:

« Et toi, Jeremy, Kevin ou Maxime peu importe, cites-moi les 10 organes de sécurité d’une tronçonneuse. Fait et refait ! Un must vous dis-je ! »

Je pense qu’on peut trouver des choses comme ça un peu dans tous les métiers. Récemment je songeais par exemple à un élève qui serait rentré à l’école hôtelière. On mettrait le couvert sur une table recouverte d’une belle nappe amidonnée. « Allez mon garçon, cites-nous tous les couverts, assiettes, verres, couteaux que tu vois placés devant toi. Et le malheureux de se torturer le cerveau au milieu des couteaux, à poisson, à viande, à huitre, verres à vin, eau, cognac, sirop de fraise, assiettes pour ceci, fourchettes à cela. On est bien finalement avec nos 10 organes de sécurité d’une tronçonneuse.

Oui mais pourquoi 10. Y’en a vraiment 10 ? Il doit y en avoir 10. Il le faut. Prenons, une usine à sèche-cheveux, dans les années 70-80. Le patron venait voir le technicien qui avait fabriqué le sèche-cheveux et lui disait : « pour mettre en vente notre sèche-cheveux, il faudrait qu’on rédige une notice sécurité à destination de l’utilisateur ». Le technicien s’exécutait. Il passait son engin à la loupe, le démontait, le remontait, passait toutes les pièces au scanner. Il trouvait 5, 9, 13 trucs à dire et hop, il faisait une liste : 1°), 2°), 3°), etc…

Aujourd’hui le boss, dans la même usine, il ne vient pas voir le technicien. Hein ? Qu’est-ce que tu dis ? Il est en Chine ? Ah ouais pas con. Du coup le boss s'adresse au responsable marketing, et il lui dit :

« Hey salut Marco, ça baigne, la femme, les gosses, ta nouvelle bagnole ? Oui dis-moi, il faut que tu me fasses un truc là, à destination des acheteurs, un truc qui montre que chez nous on ne lésine pas sur la sécurité des produits. Tu me le fais en 10 points tu vois, ça s’rait pas mal ! »

Le gars s’y colle, il trouve des trucs. En même temps, ça fait déjà un moment qu’il y a des sèche-cheveux. Le mec ne trouve que 9 machins à raconter. C’est la merde… Alors, il se dit, tiens, je vais t’y rajouter le bouton On Off, et ça fera 10. Et là, vous vous dites :

« Ooooh lui, tricheur, attends, le bouton On Off, c’est juste l’interrupteur, c’est pas un truc de sécurité. »

Vous êtes des p’tits joueurs...

Tiens, voilà un client justement, en train de se sécher les cheveux. Il a fini. Il éteint le sèche-cheveux. Que dalle, ça marche pas, ça s’éteint pas. Le mec insiste, il joue avec On Off une bonne cinquantaine de fois, rien à faire. Mettons qu’il n’ose pas débrancher à la prise, avec ce truc de merde fabriqué encore je ne sais où.

Il se jette sur la notice. Dans la panique, il se prend la tronche sur la version coréenne. Entre temps, il avait changé de pièce. D’un seul coup, il ne l’entend plus, le sèche-cheveux qui lui était resté dans la salle de bain. Ouf ! Il va voir… Le truc a tellement chauffé qu’il a pris feu, il a mis le feu aux serviettes. Il gagne les bouteilles de parfum, c’est foutu. Le feu se propage. A la fin, le mec n’a plus de sèche-cheveux, et plus de baraque. Le bouton On Off est bien un point de sécurité. Et ça fait 10 ! Bingo !

Oui, il faut un chiffre rond, c’est la base c’est tout ! Au point que tu préfères le mec qui te fait 10 points de contrôle sur ta bagnole que celui qui t’en annonce 23 ; 23, chai pas, t’y crois pas, c’est merdique, c’est louche. Maintenant, chiffre rond, chiffre rond d’accord, mais pas trop gros non plus sinon, ça marche pas.

Tu veux aller ce matin, visiter la centrale nucléaire à côté de chez toi. Ouais, ils organisent des visites. Une centrale visitée, elle en devient plus sûre, c’est bien connu ! T’arrives dans le hall d’entrée, et là tu vois le panneau : notre centrale, et ses mille points de contrôle… Tu ne vas jamais les lire, ça te dépasse, et au final tu t’en branles comme de l’an 40. Tandis que… 10 organes de sécurité, ouais, ça le fait…, grave !!

Seulement voilà. On était bien avec nos 10 organes de sécurité de la tronçonneuse. Sauf que des caïds sont passés par là, et qu’ils nous en ont trouvé 2 autres ! Salopards !

« Tu veux dire des nouveaux trucs qu’y aurait maintenant et qu’y avait pas avant sur une tronçonneuse ? »

Non non, ça y était déjà. Non des trucs qui sont devenus des organes de sécurité. Est-ce qu’au moins on est sûr que cette fois on va en rester là ? Rien n’est moins sûr. Tu prends une tronçonneuse. Elle est toujours de couleur vive. Normal, t’es en forêt, tu la poses, tu tapes la discute avec le chevreuil. Et après ? Merde, elle est où cette conne ? Ah ouais chouette, elle est là. Si tu ne la vois pas, au moment où tu recules, bing, tu te prends les pieds dedans, tu t’affales de tout ton long, chute de plein pied, traumatisme crânien, 2 mois d’arrêt. La couleur de la tronçonneuse est bien un dispositif de sécurité. Mais voilà, tout le monde ne devient pas comme ça organe de sécurité, sinon, ça serait le bordel. Y’en a, au jour d’aujourd’hui, 12, point final !

Alors, me direz-vous, c’est qui les 2 p’tits nouveaux. Les p’tits nouveaux, ça se présente toujours. Comme ça, ils vont mieux s’intégrer tu vois ! D’abord, on a les pictogrammes de sécurité. Ben ouais, là, l’autocollant qu’est collé dessus, avec 2-3 dessins en rapport avec la sécurité.

« Attends tu déconnes, moi je m’en tape de tes dessins. La bécane, je la prends, je la démarre, et j’m’en vais couper mon bois, fais pas chier nom de Dieu. C’est pas tes picto-machins qui vont me faire mes bûches. »

Et voilà ! Tout ça parce que tu n’as pas la culture de la sécurité. Non, mieux encore : la culture de la prévention. Regarde, tes enfants plus tard : eux, ils vont s’approcher de la machine. Et là, ils vont découvrir les petits dessins qu’ils voient déjà depuis qu’ils sont tout-petits, ils voient le casque, les gants, le pantalon de bucheron. Les images pénètrent dans leur cerveau, modifient leur ADN, et de façon instinctive, naturelle, tu les vois se coiffer de leur casque.

« Purée ça fait froid dans le dos ton truc là ! » » Bon, et alors le douzième c’est quoi ? »

Le douzième, c’est le pot d’échappement. Attention, pas le pot d’échappement en lui-même, tous les moteurs ont un pot d’échappement. Non, le pot d’échappement du fait de sa position sur la machine qui du fait t’empêche de te bruler. Et aussi le fait qu’il y a sur le pot d’échappement un pare-étincelle pour ne pas mettre le feu à la forêt. Tu vois, finalement, y’a pas mal de trucs à dire sur le pot d’échappement. Ce qui fait que si t’es en train d’interroger un lascar, et que tu lui plantes bien en face dans sa face : et le douzième élément de sécurité c’est quoi ? Si le gamin te répond :

« Ben M’sieur, c’est le pot d’échappement… »
 

De 2 choses l’une : t’as rendez-vous chez le dentiste que ça fait trois moi que t’attends. Le morpion tu lui réponds : « ouais, c’est bon, va z y dégage… ! Si t’as du temps à perdre, t’es coincé là. T’as une réunion mais c’est seulement dans une heure. Alors là, tu te fais plaiz… « Le pot d’échappement, le pot d’échappement, quoi le pot d’échappement, tu sais pas qu’avec tous les moteurs thermiques, y a un pot d’échappement, tu veux qu’elle sorte par où la fumée ??? »

Le gars s’en r’met, il te sort le truc, il est sauvé. Il s’énerve, se prend les pieds dans le tapis, finit par appeler sa tronçonneuse, un taille-haie, il est cuit !

« Putain, mais c’est dégueulasse !!! »

Ben ouais, c’est la vie, c’est comme ça… Mais non, j’déconne !!! Tu sais bien qu’on est là pour la réussite sociale de l’individu mec ! »

En fait, avec nos douze organes de sécurité, on y a même p’t’être gagné au change. Douze, tu te rends compte, douze, comme les 12 mois de l’année, comme les 12 heures sur l’horloge, comme les œufs dans une boite de 12, comme les 12 apôtres, 12…vingt Dieu…, douze...