Fillon à la basse cour
L’autre matin, gai comme un pinson, j’installai mon transat dans le jardin, déjà fin prêt à gober les mouches, la bouche grande ouverte tellement je baillais aux corneilles. Une autre mouche, elle, avait du piquer mon canard que je vis revenir de l’abri où j’avais installé mes clapiers à lapin, avec dans le bec, une de ces bestioles à poil avec de grandes oreilles. Voilà ti pas qu’il déposa la bête à mes pieds. Je m’dis, il va encore faire le malin à me dire qu’il me pose un lapin. Mais pas du tout, le v’là qui m’sort qu’en fait il a soulevé un lièvre.
Là-dessus, un renard avec des sourcils très épais, connu dans le coin comme le loup blanc qui sait se faire blanc comme neige, se pointe tel un ours mal léché sorti de son hibernation en invectivant le canard, à lui dire qu’il aimerait mieux le voir muet comme une carpe, pourfendant sa langue de vipère, et de lui reprocher de ne pas avoir laisser courir le lièvre pour qu’il se perde au fin fond de la plaine.
Là-dessus s’engagea un dialogue pour le moins surréaliste, le canard cancanant qu’il avait fait mouche, pendant que le goupil nous déclarait qu’il y avait peut-être des mouches mais pas de lézard, le canard lui répondant qu’à trop vouloir noyer le poisson dans les eaux troubles, il pourrait bien tomber sur des anguilles sous roche, et qu’après tout pourquoi pas tant il n’était pas disposé à avaler des couleuvres.
Furieux, le renard nous tourna le dos en nous signalant qu’il avait d’autres chats à fouetter, que si le canard voulait lui chercher des poux, il lui volerait dans les plumes, qu’il savait nager comme un poisson dans l’eau, qu’il allait monter sur ses grands chevaux et aller se plaindre à la pie qui chante tous les soirs à vingt heure.
Je tentai bien de le retenir, de lui dire que sur le chemin qui mène au bouleau où siège la grande bavarde, il y avait pleins de toiles d’araignée, de trous creusés par les taupes toujours prêtes à refaire surface. Je le prévenais aussi que la pie avait quelques puces à l’oreille et une mémoire d’éléphant, que même s’il était fier comme un pan et voulait prendre le taureau par les cornes, la pie s’y connaissait pour tirer les vers du nez, et qu’à ce petit jeu il pourrait se retrouver nu comme un ver justement, et fait comme un rat.
Mais l’animal avait une faim de loup. Il se tourna encore une fois vers le saturnin pour lui dire qu’il n’était pas une poule mouillée. Saturnin le toisa en lui disant qu’il allait relâcher le lièvre, et que « grandes oreilles » courrait toujours plus vite que lui. Mais Renard était sûr de son fait, il était malin comme un singe, serait au pire revenir à ses moutons qu’il surveillerait avec ses yeux de lynx, qu’il savait se faire peau de vache et avoir un caractère de cochon. Il avait bouffé du lion, avait mis un tigre dans son moteur.
Je le laissais donc partir entre chien et loup, à gueuler comme un putois. Je savais qu’il ne m’écouterait pas, que le jour où il y parviendrait, les poules auraient des dents.