Le bûcheron et l'élagueur
Autour de nous, autour de vous, des arbres, dans la forêt où je me promène, le long de ma rue, suivant là-bas le cours de la rivière, bordant la route de mon trajet. Ils sont avant tout décor, paysage, trait d’union avec la nature, sources de mon énergie. Accessoirement, ils font vivre aussi des hommes.
Je voudrais écrire, comme une fable, dont le titre serait le bûcheron et l’élagueur, te raconter une histoire, en profiter pour me retourner sur la mienne.
Bûcheron et élagueur, deux métiers, le quidam voit tout cela de loin, ne m’a-t-on pas nommé souvent « bûcheron élagueur ». Je comprends ; et pourtant ; une barrière ; un fossé ; explications.
Bûcheron, un métier très ancien, depuis quand, depuis la nuit des temps, une des premières matières premières, l’arbre, vivant, qui donne le bois, matière insolite, inerte, mais qui ne meurt pas. Pour passer de l’arbre au bois, le bûcheron, acte symbolique comme le boucher te donne accès à la viande, dans le respect de l’arbre, de l’animal, et de ce que trouve dans ton assiette, ou dans ta maison.
Bûcheron, petit homme pris dans la tempête économique, aujourd’hui dépendant du cours de la matière première, où chacun cherche à survivre le long de la chaîne, où plus tu es en bout, plus tu gagnes. Hélas, le bûcheron est à l’autre bout, le système ne peut lui donner que les miettes, c’est encore trop, voilà les machines, pour aller encore plus vite. Quand il faut encore des bûcherons dans les forêts françaises, ils sont là, sous nos yeux, invisibles, marocains, turcs, tchèques, roumains. Les italiens, espagnols, portugais, de notre enfance, sont devenus depuis des patrons. Métier physique, de forçat, dangereux, mal payé, sous nos yeux, bientôt le bûcheron français ne sera qu’un souvenir.
L’élagueur n’est pas lié à la matière première, il est là pour s’occuper de l’arbre vivant, cet arbre dont le bois est accessoire, cet arbre « d’ornement », de nos jardins, rues, parcs, routes. Un arbre qui voudrait s’exprimer, s’épanouir, mais qui se confronte à l’activité humaine, il faut réguler plus ou moins bien cette rencontre, alors sont arrivés les élagueurs, en même temps que l’explosion de l’impact de l’homme sur la nature, un métier très récent, moins de quarante ans. Plus de mètre cube, de stère, lui, est prestataire de service, plus proche d’un jardinier, d’un plombier ou d’un électricien, prestataire de service. L’élagueur ne rencontre jamais le bûcheron, loin des hommes, au fond de sa forêt. Ce n’est pas la seule chose qui les oppose.
Socialement, le petit français ne tient pas à vivre dans la misère, il veut sa console, sa bagnole, partir en vacances, il sera élagueur, seul métier de l’arbre où il pourra, encore pendant quelques temps, gagner sa vie correctement, au milieu des hommes, loin de la forêt. Ce temps ne durera qu’un temps, les premiers signes d’inquiétude se profilent déjà.
Le bûcheron met l’arbre à terre pour les besoins vitaux de l’homme, le bois, le papier, le feu de la cheminée. L’élagueur s’enorgueillit de tailler le vivant, de se préoccuper de l’arbre, comment il vit, comment il grandit, de l’accompagner dans cette vie dans le monde des hommes. L’élagueur se berce d’illusion, il en apprend un peu plus à chaque décennie, illusion qu’il aurait sa place parmi ses grands végétaux à l’histoire millénaire, dotés de leur propre stratégie, élaborée, complexe, qui ne laisse que peu de place à une réelle utilité de la taille, l’élagueur devra un jour revenir sur terre.
Déjà, les premières voix s’élèvent pour laisser pousser les arbres dans les villes, d’arrêter de les triturer, qu’un arbre n’a rien à faire, les pieds dans le goudron, dans de la terre, sans feuille, sans humus, sans champignon, qu’un arbre contenu, réduit, « travaillé », ou même simplement « taillé » ne ressemble à rien. L’élagueur, regardant de haut le monde de son arbre, serait-il condamné à retrouver l’humilité, bûcheron de ville, n’intervenant sur le vivant qu’ à titre exceptionnel, homéopatiquement, ponctuellement.
« Le vent se lève, ma couronne se déploie en tous sens, nous jouons la –haut entre forces qui te dépassent, il est temps que tu redescendes, allumer le feu dans la cheminée de ta maison. »