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6 décembre 2015

Bon retour chez vous

J’attendais mes « emplois d’avenir ». Vous ne savez pas ce que c’est, je vous pardonne, les « emplois aidés » ont tellement souvent changé de nom en France. Expliquer ? Simple ! Ya pas de boulot. Bon quand on dit que ya pas de boulot, c’est pas que y aurait rien à faire, c’est que y a pas la tune pour rémunérer le boulot qui y aurait à faire, jusqu’à là vous me suivez ? Bon !

Alors, l’état file la tune pour rémunérer des trucs qu’y aurait à faire mais qu’autrement on n’aurait pas faits. On propose à des jeunes de venir faire ce boulot qu’on n’aurait pas fait, et, incorporé à leur contrat de travail, ils ont droit à des heures de formation. Je suis formateur, j’attendais mes emplois d’avenir.

Du boulot qu’on n’aurait pas fait disais-je, huuuummmm ! Pas vraiment … ça peut être aussi du boulot qu’on aurait fait, mais que ça coûte moins cher de prendre un « emploi d’avenir », vu que l’état met des ronds. Ouais, mais alors, vu que c’est du boulot à faire, on pourrait garder les mômes après, vu que le boulot est à faire. Ah ouais, mais après, y aurait plus de ronds de l’état, alors on ne pourrait pas.  Non, ce qu’on pourrait faire c’est recommencer avec un autre emploi d’avenir. Le mec qu’à appeler ça « emplois d’avenir », pas de doute, c’est un littéraire, ou un optimiste, ou alors, un cynique, ou alors un peu tout ça à la fois, tiens, un politique peut-être !

J’étais en avance, je suis souvent en avance. Les gamins allaient arriver dans un quart d’heure. Je décidais de préparer tout seul les tronçonneuses, pas très pédagogique puisque je leur mâchais le boulot, j’assumais.arton27884

« Eh M’sieur M’sieur, moi, moi j‘prendrai celle-là, ouais ouais comme elle déchire grave, non, non, toi tu peux pas gros, elle t’entrainerait jusque dans la forêt, y’en a des petites pour toi, toutes petites là-bas, eh M’sieur faut en prendre une toute petite pour Kevin, hein frère ! »

De bon matin comme ça, à la fraîche, j’avais peur que ça me fatigue. Je chargeais, tranquille, les tronçonneuses dans le fourgon. Je terminais juste quand la joyeuse bande arriva, même pas en retard, mais même pas changée.

« Eh les gars, vous allez où aujourd’hui, à la ville ? »

« Eh non M’sieur, nous, on n’a pas besoin d’y aller à la ville, on y habite déjà, chez nous, c’est pas…, la campagne comme ici, eh ouais Nordin, la campagne, c’est la campagne ici gros ! »

« Non mais M’sieur, on se changera là-bas, à la forêt, on va pas se changer là, sur le parking devant tout le monde… ! »

« Eeeeehhh, pourtant il est trop dare ton caleçon frère, c’est celui avec les grosses fleurs et tout ? »

« Boucle là gros batard, le mien au moins, il a pas des couleurs bizarres devant et derrière… ! »

« Bon, épargnez-moi les détails. Allez, grimpez, on va chercher la bouffe à la cantine. »

« Y a quoi à manger M’sieur ? »

« Je sais pas, c’est la surprise. »

On arrivait à la cantine, je demandais de l’aide pour tout charger. La cuisine avait été prévenue au dernier moment. On se retrouvait avec des sandwichs, j’étais le premier à penser qu’on avait du bol. Je sentais ma bande soulagée. Ce qu’on aurait trouvé comme tambouille dans de grosses gamelles aurait été un vrai sujet d’inquiétude. Le dénommé Kevin, jeune noir assez enveloppé restait pourtant préoccupé. La petite troupe remonta dans le camion, on était parti.

« C’est aujourd’hui qu’on fait la tronçonneuse M’sieur, abattre les arbres et tout ? »

« Eh ouais, c’est aujourd’hui. Vous avez bien tout votre équipement ? »

« Quoi l’équipement M’sieur, le pantalon, les chaussures et tout ? »

« Eh ouais, l’équipement… »

« Eh M’sieur, moi je l’ai pas le pantalon, je l’ai pas, i m’ont rien donné. »

« Ouais moi non plus i m’a rien donné mon chef, les gars au boulot, i z’en avait besoin aujourd’hui… »

« Bon, on s’inquiète pas, j‘en ai à prêter, et puis vous vous les passerez au besoin. »

« Eh M’sieur, moi j’enfile pas un truc que tout le monde il a été dedans ! »

« Du calme, j’ai des jambières, ça se met par-dessus par le pantalon, comme ça on ne verra même pas les fleurs du caleçon de Kevin… »

« Vous perdez queque chose M’sieur, même si ça sent pas les fleurs… »

« Ta gueule gros connard ! »

On finit par être tous installés dans le camion. Les collègues me jetaient des regards entendus, comme s’ils me donnaient l’extrême onction. Les débuts me laissaient pourtant entrevoir la suite avec une certaine gourmandise.

« Frère Kevin » à l’avant, repéra que j’avais pas un fourgon de bâtard, av2774318838_1ec un autoradio et tout, et sans rien me demander s’occupa aussitôt de la programmation musicale. Le choix de la radio fut totalement prévisible, totalement déprimant. En quelques secondes, les conversations de bâtard cessèrent, et je les regrettais. Il fallait maintenant se taper un gros bâtard à la radio qui passait tout son temps à baver à s’écouter au lieu de la fermer et de nous mettre de la musique.

« Ça t’embête pas de ne pas me demander mon avis ? »

« Non mais on sait M’sieur que vous, vous auriez mis de la musique, de…, enfin vous voyez quoi ! »

« Je vois pas non. »

Nordin juste derrière ne goutait guère aux circonvolutions :

« I veut dire de la musique de vieux, M’sieur ! Vous écoutez quoi vous ? »

« Bon, on va dire Gérard, ce sera plus simple, parce que M’sieur… »

« Ouais…, pas pour vexer, mais Gérard, ça fait un peu… »

« Ouais vieux je sais, sinon moi j’écoute du rock. »

Kevin reprit la main :

« Oh le rock, c’est toujours pareil M’sieur, enfin… Gérard, i sont toujours là comme ça…, avec leurs cheveux là. » Il se pencha en avant et secoua la tête dans tous les sens.

« Eh ouais normal, toi ça peut pas le faire, t’as pas de cheveux ! »

Pendant ce temps, à la radio, un rappeur était en train de nous raconter des trucs sur la cité, les filles, les cages d’escalier, la taule et les keufs.

« C’est pas toujours un peu pareil les gars, ce qu’ils racontent ces mecs-là ? »

« Non mais c’est normal, vous connaissez pas M’sieur Gérard, y’en a plein, faut connaître. J’voulais vous demander, on passe par une ville, ou je sais pas…, un village, un village ah ah ah…, pour aller à la forêt ? »

« Y a une petite ville dans trois kilomètres, pourquoi ? »

« C’est les sandwichs, je peux pas manger ça, i faut m’arrêter, que je trouve un truc à manger. »

« Pourquoi, y a du jambon dedans ? T’es musulman ? »

« Non, c’est pas ça, c’est juste que je peux pas manger ça, i me faut vraiment une sandwicherie, un truc comme ça. »

« Une sandwicherie, alors qu’on a des sandwichs… ? »

Ahmed, au fond du fourgon se décida pour me fourguer les explications nécessaires :

« Cherchez pas M’sieur, Kevin et la bouffe, ça se discute pas, même chez lui, i mange que des hamburgers, vous avez vu, il est pas maigre, hein gros ? »

« Et toi gros batard, si tu veux manger que de la salade, et des carottes, eeeeh des carottes…, viens pas me casser les couilles ! »

Je décidai que je m’arrêterais à la sandwicherie.

Garé en double file, pendant un bon quart d’heure, avec le reste du groupe à attendre, Kevin semblait avoir des problèmes de choix, mais aucun problème pour faire attendre tout le monde. En attendant, c’était ma patience qu’il était en train de grignoter.

« Ah ben quand même, on a failli t’attendre. »

Kevin ne répondit pas, tout à la contemplation de son sac plastique qui me renseigna sur son peu d’intérêt également pour l’eau du robinet. Nous pouvions poursuivre notre périple à travers la campagne, itinéraire qui ne passerait plus devant aucune épicerie, boulangerie, kebab.

Au bout de vingt minutes pendant lesquelles  je cherchais un motif d’inculpation crédible pour l’animateur radio, penchant plutôt, comme choix de peine, pour un étranglement,  je pris avec soulagement la petite piste forestière qui nous amena directement au chantier.

Les mômes étaient volontaires, c’était déjà pour moi un trésor, même si j’appréhendais de lâcher ce petit monde dans les bois avec des tronçonneuses, eux qui jubilaient à se combattre en permanence à grands coups de mots.

De voir certains avec un casque de bucheron jaune ou orange sur la tête, j’avais plutôt l’impression d’être à Mardi gras que sur un chantier forestier. On se dirigea vers un premier arbre pour une petite démonstration de ma part qui assura définitivement ma crédibilité.5463345

« Allez maintenant, vous vous mettez par deux, choisissez des arbres marqués,  prenez entre vous les distances de sécurité nécessaires, et je passerai d’un groupe à l’autre. »

Ne vous méprenez pas, ne vous attendez pas à des gags désopilants, les gamins me firent une matinée de boulot tout à fait respectable. Ils avaient sur le dos les équipements nécessaires, et dans les mains des tronçonneuses  comme ils n’avaient pratiquement jamais, car, après tout, ce n’étaient que des « emplois d’avenir », c'est dire si leur avenir pourtant préoccupant, préoccupait.

Bien sûr, ce n’était qu’une toute petite victoire. L’après-midi restait l’après-midi, avec ses points faibles, comme par exemple avoir dans les pattes la fatigue du matin, et d’être mathématiquement de plus en plus proche de la fin de la journée, synonyme de retour au bercail, dans leur monde, ce monde qui était leur chez eux. L’après-midi fut donc bien moins dynamique.

Abattre un arbre en forêt, c’est un peu deux minutes de plaisir, c'est-à-dire l’abattage de l’arbre en lui-même, et une demi-heure de labeur derrière, pour ébrancher, débiter, ranger, empiler. Ils étaient bien encore partant, mais que pour le plaisir, et je ne pouvais pas transformer le chantier et ses règles en un terrain de jeu, alors petit à petit la motivation s’effrita. Et puis, ils seraient cantonnés dès le lendemain dans leur statut d’emplois d’avenir, et ça, ils étaient tous suffisamment intelligents pour le savoir.

Sur le retour, les conversations allaient bon train, mélange de stock de souvenirs qu’ils venaient de se fabriquer, et les préoccupations de leur vie, là-bas dans leur ville. Les harangues et les joutes étaient là aussi pour recouvrir la dureté, de comédie. Il régnait dans le fourgon une fraternité entre eux, et une reconnaissance à mon égard, assez rares en fait. Il ne me restait plus qu’à prendre les collègues à contre pied, en leur assurant avoir passé une très bonne journée.

C’était le temps des adieux. Les, « M’sieur », « Gérard », et « M’sieur Gérard », furent à peu près à égalité.

« Allez, bon retour chez vous les gars. »

 

 

 

 

 

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