humus noir

Je pourrais démarrer par un laconique et professoral « l’humus cet inconnu ». Statistiquement, combien dans la tranche « 18-25 » connaissent ne serait-ce que le mot en lui-même. Combien vont marcher dans une vaste forêt, humer les senteurs de l’automne, une fois que la pluie a humecté le sol un temps groggy par la sécheresse de l’été, libérant des odeurs de vie, sans finir par trouver que « ça pue ».

J’inspire à pleins poumons, je sens toutes mes cellules capter l’information, qu’elles transmettent à tout mon corps, des radicelles me sortent de partout jusqu’à la racine de mes cheveux, bientôt entortillées de milliards de mycéliums de champignons différents, la sève parvient jusqu’à l’extrémité de mes doigt, arbre au beau milieu des arbres. Je renonce bientôt, attiré par la lumière de la lisière ne parvenant pas à renoncer à ma mobilité pour aller contempler le monde.

Je suis allé à l’école, l’école m’a appris l’eau dont nous venons tous, l’oxygène pour ne pas mourir, encore faut-il pouvoir se nourrir, encore faut-il la terre pour voir les plantes pousser, nous avons fini par trouver celles que nous pouvions manger, nous en  avons retenu quelques unes pour recouvrir des plaines entières, les arbres nous regardent d’un sourire inquiet, imbriquant dans les cernes de leur bois encore des milliards de secrets, regardant fondre aussi vite que les glaces, notre curiosité.

L’école m’a appris l’étude des sols, qu’un professeur sorti de longues années passées sur les bancs d’université, aussi longues que la barbe qu’il s’était laissé pousser, m’a enseigné, ou plutôt redonné sans trop digérer ce que lui-même avait appris. Je me suis senti exclu de ce savoir, réservé à une élite, catalogue de choses à retenir sans les comprendre, traversant mon corps sans digestion qui ne trouva là aucune nourriture, si bien que le tout finit par se désintégrer dans une fosse, sceptique.

Peut-être avait-il renoncé à toute croyance, à toute magie, la magie de cette terre, rencontre du monde minéral des profondeurs, et du végétal en surface, qui se touchent, se découvrent, s’affrontent, se marient, trouvent un terrain d’entente pour finir par nous donner la terre, qui va nous donner la vie. La roche, elle, vit sur une échelle de temps qui me dépasse, et je ne vois que Jules Verne pour s’enfoncer dans les profondeurs d’un volcan. Le monde végétal, c’est une autre histoire, il m’entoure, m’environne, me contemple de ses cimes, bruisse ou se craquelle au rythme de mes pas qui s’avancent dans la lande, ou la steppe, la taïga, ou ce simple sentier d’une domestique campagne.

A la surface, des feuilles, des aiguilles, des fruits, des pierres affleurantes, des champignons, tout le monde animal, qui n’a que faire de cimetière, tous retournant à la terre pour la perpétuité de la vie. Toute cette matière organique qui se décompose, tout le monde s’y colle, le soleil, la pluie, le vent, le gel, des milliards d’insectes, de bactéries, de champignons, la multitude, en mouvement, cacophonie joyeuse et maitrisée, dans ces quelques centimètres de terre en surface, l’humus.

La vie sur terre n’est pas partout aussi douce, elle n’est pas recouverte uniquement de champs de blés qui ondulent dans l’opulence, bordée de plages de sable clair surplombées de cocotiers nourrissants. Excès, excès de froid, de chaud, d’eau, de vent, tout excès rend les choses difficiles comment chacun sait, mais comme chacun le sait aussi, certains apprécient la frugalité, et partout où elles le peuvent, les plantes n’abandonnent jamais le combat de parvenir à s’installer, multipliant les stratégies d’installation élaborées. Elles composent, à ce moment là, avec la lenteur, elles en sont souvent remerciées par la durée. L’humus devient lui aussi moins exubérant, moins festif, économisant ses forces. Cette dureté, cette lenteur, ce silence presque, a une couleur, c’est le noir, humus noir, curieux mélange de mort, et d’éternité.

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Comments

[anta]

GG toujours la plume à la main, je te reconnais bien là. C'est instructif pour moi qui ne connait pas bien la nature que j'aime pourtant. Merci beau gosse

[maneno]

Je viens de m'impégner de ton humus depuis la fenêtre ensoleillée de cette première journée aux T° hivernales. Je vais finir par te suivre dans tes balades botanico-littéraires, d'autant plus volontiers que même pas besoin de zoomer pour les rendre accessibles à ma piètre vision. Merci pour cet agréable moment en cette période noire. Un break s'impose car tout sombre dans le brouillard qui se lèvera dans qques mn.

Bon WE