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14 septembre 2015

soda

Mickaël avait soif. Il aurait pu aller boire au robinet dans les toilettes au boulot. Il n’y avait pas pensé. Son défunt père répétait fréquemment, un peu trop à son goût, comme tout ce que son père avait tendance à trop répéter, que quand on a soif, il n’y a rien de mieux que l’eau. Il était maintenant au volant de sa voiture, et il avait de plus en plus soif. En fait, il savait très bien que l’eau du robinet du boulot ne convenait pas aujourd’hui, elle n’aurait pas eu le goût du plaisir, et vu la journée de merde qu’il venait de se farcir, il avait une sacrée envie de se faire plaisir. 

Sur la route de l’hôtel, il bifurqua à l’entrée de l’hypermarché, aujourd’hui ça devenait difficile de ne pas passer devant une enseigne d’hypermarché sur la route en rentrant du boulot. Aucun risque, ici, personne ne le connaissait, il pouvait jeter par-dessus bord toutes ses bonnes résolutions écologiques et altermondialistes, et aller s’acheter une fichue bouteille de soda bien américain, bien capitaliste. Il avait sa marque attitrée, avec son logo d’époque qu’il adorait. Le graphiste à l’époque s’était peut-être fait un max de pognon, et ses descendants coulaient qui sait des jours heureux aux Bahamas, ou à Honolulu, pendant que le liquide en question coulait désormais sur toute la planète.

Leau-du-robinet

Il arpentait maintenant l’allée centrale, d’une démarche sûre et déterminée, suffisamment rapide pour ne pas se faire avoir à craquer pour un achat compulsif, le soda était déjà assez compulsif comme ça. A cette heure de la journée, la circulation était fluide. Déambuler en ces lieux avec aisance lui procurait un plaisir certain, car il lui était arrivé de se retrouver dans ce genre de temples le weekend, quand se faire un passage à travers les rayons et les caddys pouvait s’avérer aussi difficile que se faire un layon à la machette pour avancer dans une dense forêt tropicale, sauf que l’usage de la machette était ici, Dieu soit loué, fort déconseillé. On dit que ce genre d’endroit n’a pas d’âme. Pourtant l’hyper se mit à parler à Mickaël, qu’il avait de la chance, que samedi, les allées seraient totalement saturées. L’hyper semblait jubiler, tel un monstre qui aurait pris « dealer » comme option à l’école de monstre. Le monstre avait facilement trouvé du boulot, à la fin de ses études de monstre, avec son diplôme de monstre en poche. On lui avait collé dans les pattes un directeur de magasin dont il avait rapidement imprégné le cerveau. Le directeur était désormais en état de surexcitation comme s’il avait pris des trucs, quand le magasin était plein. Il flippait bien un peu devant ces foules compactes de weekend et claquait plus de fric en agents de sécurité, mais ces linéaires remplis bourrés le matin, qui ensuite  se déversaient dans des caddys bombés le faisait bander, il ne pouvait plus s’en passer. Faudrait-il qu’un jour il parte en cure de désintoxication à reprendre une petite épicerie de campagne en Lozère, avec interdiction formelle de transformer la dite épicerie en supermarché, après avoir auparavant résisté à mener la moindre étude de marché ? En attendant, le monstre se disait qu’il avait fait du bon boulot. 

 Mickaël choisit de profiter de la fluidité pour accélérer, guère rassuré de voir que le monstre était capable d’entrer en communication avec lui. Il tourna à gauche dans le linéaire où ils étaient tous alignés, pas le même que les eaux, pas le même que les bières, que les pinards, combien de linéaires rien que pour se mettre du liquide dans le gosier. Comme disait le paternel, quand on a vraiment soif, il n’y a que l’eau. Son père aurait été plus jeune, plus connu, influant même, il aurait risqué l’assassinat par des hommes de main d’une multinationale de sodas américains, c’est qu’il devait y en avoir des baraques aux Bahamas et à Honolulu, grâce à ses boissons qu’on boit quand on a soif, et qu’on a toujours soif après, car c’est bien connu, quand on a vraiment soif,  il n’y a que l’eau...

Il finit par trouver une caisse, où il n’y avait pas devant lui trop de personnes ayant décidé de venir à l’hyper pas seulement pour acheter une bouteille de soda, mais aussi tout un tas d’autres trucs avec surement quelques « compulsifs » au passage. En sortant, il décida de ne pas attendre d’arriver à sa voiture, il avait trop soif, quelle connerie d’avoir choisi une boisson gazeuse. Il dévissa doucement le bouchon pour laisser filer un peu le gaz, histoire de ne pas s’en prendre plein le pantalon. Sa longue expérience en la matière lui dicta de boire un volume suffisant, car c’est bien connu, le soda ne prévient qu’une fois, le coup du pantalon, c’est toujours à la deuxième ouverture quand on en a pas bu assez à la première, ce qui est toujours coton, car c’est à la première qu’il y a le plus de gaz, ce qui rend l’absorption du soda plus difficile. 

Ça pouvait paraître insolite d’ouvrir une grande bouteille de soda entre les rangées de voiture. Mais les passants qui passaient s’en foutaient éperdument car ils étaient tous dans un espace temps, coincé entre le temps passé dans le monstre et celui où ils pourraient être enfin peinards dans leur appartement, l’espace temps en question à savoir pousser un caddy à roulettes sur un parking de supermarché, ils n’en avaient absolument rien à foutre, tout comme de ce mec qui buvait sa bouteille de soda entre les voitures. 

 Le plaisir fut immédiat et se rependit aussitôt tout le long de sa tuyauterie. La drogue que les méchants capitalistes américains avaient mis dans  la bouteille était connue depuis la nuit des temps, mais restait toujours aussi efficace, au point que les mômes ne voulaient plus boire de l’eau en mangeant, quel malheur, quand on sait qu’il n‘y a que l’eau… Mickaël referma la bouteille, toujours aussi admiratif de la qualité de l’étanchéité de ces petits bouchons en plastique insignifiants. L’eau que son père emmenait en montagne quand ils étaient petits s’était retrouvé quelquefois à humidifier involontairement le restant du sac de randonnée. Ces discrets petits bouchons auxquels personne ne faisait plus attention, avaient définitivement tourné le dos au problème en même temps qu’ils tournaient sur les pas de vis des bouteilles plastiques. Il était à souhaiter que l’inventeur du bouchon plastique ait eu de quoi acheter une belle maison aux Bahamas ou à Honolulu. Que ses descendants aient pu profiter de l’aubaine n’avait aucune importance, étant entendu que eux n’avaient rien inventé du tout.soda-schweppes-indian-tonic_3242283_3124480001405

 Les enfants voulaient grandir. Bien avant de gouter à des boissons bien plus discutables, ils commençaient par le café, plus pour grandir que parce qu’ils aimaient le café, vu la quantité de drogue, la même que les méchants capitalistes américains mettaient dans leur soda, qu’ils mettaient dans leur tasse de café. On finissait par trouver ça pas trop grave, de peur d’affronter leurs velléités futures à vouloir persévérer dans leur souhait d’entrer dans le monde adulte, rendant par la même obligatoire la consommation de boissons, d’abord modestement, puis rapidement fortement alcoolisées. De plus, les avoir à table avec soi, en train de déguster leur arabica aux trois sucres, présentait l’immense avantage de les avoir encore à table à ce stade pourtant très avancé du repas. 

Mickaël arriva jusqu’à sa voiture, qu’il avait retrouvé facilement, vu que c’était la seule à avoir le nom de son entreprise dessus. Il commençait à être gêné de boire comme ça sa bouteille de soda devant tout le monde. C’est vrai qu’il aurait pu acheter au monstre une canette de l’armoire réfrigérée. Il aurait pu, tranquille, se mettre au volant et décapsuler doucement la canette, et la boire anonymement dans la voiture, il sentait bien que sur ce parking, tout ce qu’on faisait, on se devait de le faire anonymement, même si ce qu’on faisait, les autres n’en avaient de toutes façons rien à cirer. Finalement il se dit que ça pouvait avoir de la gueule de s’assoir sur le capot de la voiture, et d’avaler sa bouteille à grande gorgée, en regardant passer les voitures, dans ce lieu où il n’y avait de toute façon pas grand-chose d’autre à faire que de regarder passer les voitures. D’être le seul là en plein milieu, à boire sa bouteille de soda en regardant passer les voitures, ne lui déplaisait pas finalement. 

Mickaël se dit qu’il était peut-être fort judicieux de s’avaler une dernière gorgée de soda avant de reprendre la route. Le petit bouchon en plastique était tellement efficace qu’il gardait très bien aussi les gaz à l’intérieur de la bouteille, et s’il lui venait l’idée de vouloir l’ouvrir en conduisant, il pourrait bien avoir en arrivant, à changer de pantalon, et nettoyer tout le tableau de bord. Car personne ne savait trop ce qu’il y avait dans les sodas, mais quand il y en avait plein le tableau de bord, pour nettoyer tout ça, il n’y avait que l’eau.                                                                                                     

robinet

 

 

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