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3 juillet 2014

Au commencement était la graine...

Au commencement, je suis une graine, on me dit lourde, et quand je m’échappe de mon fruit de naissance, je tombe au pied de l’arbre, je ne vais pas beaucoup plus loin. Pour une grande majorité de mes consœurs, l’aventure va s’arrêter  là, car elles participeront à la nutrition animale, humaine parfois, telles les noix, les châtaignes, les noisettes.

Je tombe sur un sol qui devrait me convenir, car il a permis à mes parents de traverser parfois des siècles et d’atteindre des hauteurs depuis lesquelles ils peuvent regarder le monde. J’attends d’eux qu’ils me protègent encore quelques temps des rayons parfois trop généreux du soleil, avant de me laisser une petite place à moi aussi, pour vivre.

gland-en-automne

Autour de moi, j’ai de petites voisines, légères elles, pourvues d’ailes, qui leur permettent de voyager vers des contrées plus lointaines, conquérir de nouveaux espaces, trouver des sols bienfaiteurs ou pas, faire bon ménage avec leurs futurs voisins ou pas. Elles ne germeront que si elles jugent les conditions favorables pour elles.

L’homme ne se contente pas depuis bien longtemps, de me regarder tomber. Parmi nous, les plus belles seront ramassées, emportées vers des lieux appelés pépinières. Nous serons installées sur des lits de terre parmi les plus confortables du monde, où nous serons bichonnées, nourries, arrosées, pour devenir des plants dont la beauté fera pâlir d’envie nos sœurs restées dans la forêt.

L’homme nous y reconduira pourtant, et nous aurons parfois bien du mal à nous réadapter à la terre de nos ancêtres, et encore plus à de nouveaux espaces que l’homme voudra nous voir conquérir. Cette adaptation prendra le nom de reprise, on sait aujourd’hui combien elle peut être longue et difficile. Nos sœurs "bio" nous regarderont cette fois avec un petit sourire moqueur.

Sur ces terres nouvelles, beaucoup de choses vont changer. Nous ne serons peut-être pas toujours les bienvenues, car d’autres arbres étaient là avant nous, en équilibre depuis des siècles avec le sol, le climat, les conditions locales, et leurs partenaires : des champignons symbiotiques pour les aider à se nourrir, des insectes pollinisateurs, pour les aider à se reproduire, des insectes partenaires pour lutter contre d’autres qui voudraient les détruire.

Heureusement, la solidarité forestière nous permettra de nous installer, mais la main de l’homme sera sans pitié pour les indigènes qui voudraient ne pas jouer le jeu et nous voir échouer. Nous pourrons être bien plus tard, l’objet de malédictions, pour avoir participé de la sorte à ce changement d’essence.

L’homme ne nous destine pas toutes à retourner en forêt. Les plants que nous sommes devenus, seront installés parfois dans des parcs. Nous y trouveront le confort de pouvoir s'étaler librement, en étirant nos grandes branches charpentières. En ces lieux, l’homme n’a que faire de notre bois, de nos grumes, il veut nous voir nous exprimer, et par la même nous admirer. Maintenir en hauteur ces masses de branches considérables, en ne bénéficiant comme point de contact avec le sol, que de notre malheureux petit collet, n’est pas une mince affaire. Pour y parvenir, nous envoyons dans toutes les directions de puissantes racines, pas si profondes que ça, car elles ont besoin, elles aussi de l’oxygène de l’air, prolongées elles- même par des radicelles, à qui nous demandons de s’associer avec des champignons bénéfiques, qui nous aiderons à assimiler les éléments nutritifs du sol, que nous n’arrivons bien souvent pas à capter nous même. Le pouvoir de ces champignons est considérable, a tel point que certains auteurs nous considèrent comme des hôtes de ces organismes mystérieux et magiques.

L’homme oublie bien souvent que le sol n’est pas quelque chose d’immuable. Il a besoin de se régénérer en permanence, fruit d’une rencontre merveilleuse entre la roche mère des profondeurs et la matière organique que nos déposons en permanence grâce à nos feuilles et autres bois morts dont nous nous délestons en continu. Ces dépôts permanents ne sont pas du goût de l’homme, qui préfère installer à nos pieds d’immenses pelouses, qui nous sont de maigre utilité. Les pieds des promeneurs, tous géants que nous sommes, provoqueront chez nous bien des contrariétés car la fragilité de notre stratégie racinaire est aussi certaine que la solidité apparente de nos troncs et nos charpentes.

Nous aurions bien tort de nous plaindre, car d’autres congénères vont connaître un sort bien pire. Les voilà installés dans des fosses de plantation plus que réduites car il faut bien composer avec la place à laisser aux trottoirs, voiries, murs, voitures, places de parking, goudron. Durant des décennies, tous ces concurrents, solides, minéraux, inertes, ont eu de plus en plus la faveur de l’homme, et la taille de nos fosses n’a fait que se réduire. Depuis peu, l’homme a compris qu’il était allé trop loin, nous voyant trop facilement mourir, après avoir dépensé des fortunes à vouloir à tout prix nous installer en ces lieux aussi hostiles. Beaucoup d’entre nous continuent pourtant à se battre pour survivre au quotidien dans des conditions on ne peut plus éloignées de nos besoins naturels. Nos capacités à survivre dépassent l’entendement, impossible de tricher par contre avec notre espérance de vie très limitée au regard de celle que nous avons en forêt.

Nos difficultés ne s’arrêtent pas à la privation de notre sol nourricier. Nous allons subir durant notre courte existence, bien d’autres traitements forts peu enviables. Confrontés à la promiscuité avec les activités humaines, l’homme n’a pas d’autre choix que de gérer la situation le mieux possible. Notre stratégie de vie étant d’une telle complexité, il va « débouler » bien souvent dans notre univers comme un chien dans un jeu de quille.

Cependant, avec le temps, l’homme a appris un peu à nous connaître. Il sait aujourd’hui que nous ne sommes pas non plus des êtres parfaits, et qu’un petit coup de pouce de sa part peut parfois nous être bénéfique. C’est le cas, concernant ce qu’il appelle les tailles de formations, à réaliser quand nous sommes encore tout jeune. Une branche à insertion oblique peut être à l’origine d’une fourche à écorce incluse avec risque de déchirement futur. Une jeune branche voulant devenir trop vite plus grosse que les autres pourrait engendrer une coupe de trop gros diamètre à l’avenir. Voilà des intrus dont il peut être bon de nous débarrasser. L’homme va rapidement aussi vouloir se dispenser de nos branches basses, elles le contrarient énormément. Il se cogne, abîme sa voiture, ne peut pas passer avec sa tondeuse. Nous n’avons pas de grand grief à lui faire à ce sujet, car ces branches, dans la nature, nous finissons aussi par nous en délester, quand elles sont dominées, et perdent l’accès à la lumière. L’homme dans ce cas, ne fait qu’anticiper les choses, mais pour cese faire, quelques règles sont à respecter.

Nous savons parfaitement refermer une ouverture créée par la coupe d’une branche. Pour cela, il faut connaître l’angle de coupe, qui correspond  à notre angle de cicatrisation. Une branche sur un tronc finit par prendre son autonomie. On obverse alors une limite de « contact » entre le bois produit par le tronc, et le bois produit par la branche. Cette limite est parfois facile à voir, parfois il vaut mieux avoir recours à l’œil du connaisseur.

Une coupe est toujours une ouverture sur l’extérieur, et l’extérieur est plein de danger. Dans l’air flotte une multitude de petits organismes pas toujours bienveillants, tels des spores de champignons parasitaires, des bactéries, des virus. Il nous faut donc refermer cette ouverture le plus rapidement possible. Une coupe de branche se doit de rester de taille modeste.

Respect des angles de coupe et anticipation pour ne couper que des branches de petit diamètre sont la base du métier de l’élagueur. Faut-il protéger les plaies d’élagage ? Les hommes, encore aujourd’hui, ne sont pas d’accord entre eux. Nous savons parfaitement refermer rapidement une plaie si le travail de coupe est bien fait. Tout comme pour une plaie sur un animal, laisser une plaie à l’air nous convient parfaitement. Un mastic peut certes arrêter une spore de champignon, mais l’activité biologique du bois sous le mastic en est perturbé. Evidemment si une plaie est trop grosse, nous mettrons de années à la refermer, et les champignons auront tout le temps nécessaire pour venir s’installer, alors mastiquer, pourquoi pas, mais qui viendra vérifier la qualité de cette protection au bout de quelques années de pluie, de vent, de soleil. Mastic ou pas, nous saurons en définitive contraints encore une fois de ne compter que sur nous même.

En revanche, si l’homme ne respecte pas notre angle de cicatrisation, nous n’arriverons jamais à refermer correctement une plaie, et des hectolitres de mastic n’y changeraient rien.

On ne peut retirer trop de branches basses à la fois. En prenant de la hauteur et de l'envergure, nous avons rapidement une masse énorme à nourrir. Durant toute notre vie, nous devons tenter de maintenir un équilibre entre, notre tronc et nos grosses branches d’une part qui constituent notre support, notre armature, et notre feuillage, qui est notre poumon grâce à la photosynthèse. Retirer trop de branches basses à la fois crée un déséquilibre pouvant nous mettre en état de stress. Les forestiers connaissent ce phénomène depuis longtemps car ils souhaitent se débarrasser du plus possible de branches basses afin d’obtenir de belles grumes sans nœud. Mais il faut être patient : tant que nous n’avons pas atteint une dizaine de mètres de haut, notre couronne n’est pas assez développée et l’on ne peut nous retirer nos branches basses que sur un tiers de notre hauteur. Ensuite, à l’âge adulte, cette hauteur de tronc sans branche pourra aller jusqu’à la moitié de notre hauteur. Si l’homme ne respecte pas cette règle simple, notre stress provoquera la poussée de gourmands, issus de bourgeons dormants sur notre tronc, réduisant à néant son travail d’élagage, et nous privant de sève dont nous avons besoin jusqu’au plus haut de notre cime.

Mais au fait, comment arrivons-nous à pousser en hauteur ? Aux extrémités de nos branches, nous disposons de bourgeons spécialisés qui renferment des méristèmes, qui vont se charger de la pousse annuelle que nous créons à nos extrémités. Ces jeunes pousses montent au ciel pour chercher la lumière ? Pas seulement ; vous êtes en train de découvrir que même dans le noir, nous poussons verticalement, car nos cellules s’empilent les unes sur les autres pour lutter contre la gravité. Nous passons notre vie à lutter contre la gravité. Oui, c'est vrai, la gravité, c'est chiant!

 Notre cime sera tout au long de notre vie, notre cerveau, elle maitrisera les ardeurs de nos branches latérales, avant de s’affaiblir quand elle aura atteint les sommets, laissant alors aux "latérales"  plus de liberté pour s’épanouir.

 Les méristèmes ne sont pas nos seuls spécialistes : juste derrière notre écorce se cachent d’autres pointures, les cellules du cambium. Elles fabriquent  chaque année de nouveaux tubes verticaux par lesquels la sève montera au printemps, et redescendra au début de l’automne. Ces tubes deviendront ensuite du bois, et le cambium en fabriquera de nouveaux chaque année. L’ensemble des tubes dévoués à la sève montante s’appelle le xylème, pour la sève descendante, le phloème. On peut considérer que l’on est en montée de sève entre le moment où les bourgeons s’ouvrent au printemps jusqu’à ce que nous ayons installé toutes nos feuilles. La période de sève descendante commencent vers la mi-août. Nous débutons alors le durcissement de nos futurs bourgeons d’hiver. Elle s’achève avec la chute des feuilles.

Durant ces deux périodes, nous sommes très occupés, ce n’est pas trop le moment de nous demander de « cicatriser » une coupe de branche. Nous sommes au top pour faire ce travail durant les mois de juin juillet, bien armés de nos feuilles, nous pouvons répondre dans la minute. Sinon, il faudra attendre la période hors-sève, en automne hiver. Cette fois nous mettrons la coupe en « stand-by » pour se mettre à refermer tout cela au printemps. Il faudra juste ne pas s’amuser à nous créer des ouvertures quand il gèle, car alors les cellules que nous mettons en place pour une protection temporaire mourraient et la future cicatrisation serait compromise. Au fait savez vous comment nous arrivons à faire monter de la sève jusqu’à parfois plus de cent vingt mètres de haut comme chez nos cousins d’Amérique? Non, vous ne le savez pas, vous vous approchez du mystère, vous avez quelques bonnes idées sur la question, mais vous êtes incapable de le reproduire sur des hauteurs pareilles. Courage ça viendra un jour !

Je suis obligé de vous raconter cela car désormais, vous connaissez les périodes où vous pouvez venir nous tailler sans trop de dommage, l’été, pour des tailles légères, ou alors l’hiver. Quand vous avez la main lourde, venez impérativement l'hiver.

Mais au fait, pourquoi venir nous tailler? Pour nous faire du bien ? Tout cela est bien présomptueux petit homme, car chez nous, c’est comme dans le cochon, tout est bon !

Les branches basses : dans la forêt, elles tombent d’elle-même quand elles ont fini leur boulot. En attendant, elles participent à la répartition de la force du vent sur tout le tronc jusqu’au sol.

Le bois mort, il participe à notre biodiversité car nous sommes chacun de petits écosystèmes à nous tous seuls. Les platanes sont des arbres à « faible biodiversité embarquée », c’est en train de leur couter très cher.

Les branches intérieures que vous nous enlevez en taille d’éclaircie. Elles sont le support des feuilles d’ombre, qui prennent le relai quand les feuilles de lumière de périphérie ferment les écoutilles pour résister à de fortes chaleurs.

L’extrémité des grosses branches que vous nous retirez en taille d’allègement. Elles possèdent le plus gros stock de nos feuilles, usines à photosynthèse, pourvoyeuse de carbone et probablement, d’une multitude d’autres substances pour notre trousse à pharmacie.

Notre cime que vous nous retirez lors d’un étêtage ; c’est notre tour de contrôle. Il n’y a qu’à voir la façon complètement anarchique avec laquelle nous repoussons.

Car nous repoussons, toujours, tant que nous le pouvons, ce n’est pas pour vous contrarier, mais nous ne pouvons pas faire autrement, il nous faut même vite nous dépêcher, car il y a toujours cette masse statique qu’il faut nourrir, alors vite des feuilles, et pour avoir ces feuilles, vite des branches. Tout cela se passe dans la précipitation, ces nouvelles branches sont très vigoureuses, et les feuilles produites sont trop grandes, pas assez durcies, cibles faciles de tous nos ennemis. Nous en avons, et nous les attirons, comme des mouches sur la merde, dès que nous sommes en situation de fragilité. Pour ce qui nous concerne, les tailles, les élagages nous servent pratiquement à rien. Ils ne sont là que pour t’aider à gérer notre promiscuité. Bien que fasciné par notre gigantisme, tu as bien souvent cherché à nous domestiquer, nous réduire à échelle humaine et donc nous élaguer.

Nos liens sont de toute façon très anciens. Depuis la nuit des temps, tu as trouvé chez nous des ressources pour ta subsistance, du bois pour te chauffer, des fruits, de la nourriture pour les animaux que tu chassais. Et puis les siècles ont passé. Te voilà récoltant le bois pour construire, des maisons, des bateaux, des étais pour les mines, des traverses pour le chemin de fer, des piquets pour les clôtures de tes champs, il t’a fallut organiser les forêts pour tout cela. Dans ta conquête inexorable de l’espace, tu as fini par prendre toute la place. Nous avions fini par prendre l’habitude de te voir chez nous, mais cela n’a pas suffit, et tu as fini par nous faire venir chez toi.

Jusqu’à une époque récente, tout ne s’est pas trop mal passé. Nous étions grands, hauts, inaccessibles, plus à la portée des poètes que des élagueurs. Peu d’hommes s’aventuraient dans les hauteurs de nos cimes. Quelques courageux, avec du matériel rudimentaire, grimpaient en haut de nos futs, pour couper nos cimes avant de les abattre, pour que notre bille ne se fende pas, pour des utilisations nobles futures. Parfois, un de ces téméraires tombait et se tuait, calmant les ardeurs d’autres candidats, ils restaient peu nombreux.

Un jour la tronçonneuse remplaça la serpe, rendant la coupe de notre bois tellement plus facile. Puis vinrent les nacelles, mettant à portée du premier venu, nos cimes restées vierges de ta présence durant des millénaires. Ce fut un carnage, ta passion pour la mécanique submergea le peu de connaissance que tu avais acquis en biologie végétale. Pourtant, on peut te relire parlant des angles de coupe, dans des ouvrages datant du dix huitième siècle...

Tu es à un tournant de ton histoire car la science aujourd’hui te démontre tous les jours que tu es allé bien trop loin à prendre la nature pour un jouet. Tu as donc décidé de raisonner ; l’agriculture devient « raisonnée », le fauchage, « raisonné », et la taille des arbres, « raisonnée », tout devient raisonné, à commencer par la façon de te nourrir, ce qui est bien l’essentiel.

Malgré tout, ces raisonnements deviennent chaque jour plus étriqués car tu as de plus en plus la peur de mourir, ce qui est pourtant notre lot commun. Notre gigantisme, si près de tes maisons, de tes routes, de tes lignes électriques, devient chaque jour plus insupportable, nous te faisons peur, alors tu consacres beaucoup plus de temps qu’avant, à nous ausculter, tu appelles ça le diagnostique.

Ce texte se voulait à la base un cours d’école sur le diagnostique, il a un peu déteint, j’en conviens, mais nous y voilà : nous allons faire un tour ensemble de ce que tu as trouvé jusqu’à maintenant.

Un arbre se voit d’abord de loin, alors, nous allons commencer par là : tu aperçois des branches mortes ici ou là, peu d’inquiétude, c’est dans l’ordre des choses, nous en avons déjà parlé. Ces branches mortes représentent un danger pour le propriétaire, le passant, l’automobiliste, tu peux les retirer. Dis bien à l’élagueur que ce n’est pas la peine d’aller jusqu’aux brindilles qu’il s’obligerait à retirer à la pince à épiler, tout comme il brique sa voiture tous les weekends, tout comme il arrache le moindre brin d’herbe dans ses pavés.

La tête de l’arbre est morte, mais il reforme une couronne bien verte mais plus réduite en contrebas ; il fait une descente de cime, il réduit la voilure, car trop vieux, il ne peut se permettre de continuer à alimenter une couronne devenue trop ambitieuse. Tu peux aller l’aider à finir de se débarrasser de cette tête morte qui finirait de toute façon par tomber.

Les branches mortes sont nombreuses et reparties de façon uniforme dans toute la couronne.  Cet arbre est probablement dans une mauvaise passe. Ne te précipite pas pour autant pour lui trouver une maladie, tel un bon vieux généraliste de médecine occidentale. Les malades, de maladie, sont rares chez nous, sans vouloir te vexer, tu seras dans la plupart des cas responsable de la situation.

Tu auras planté cet arbre, dans un sol qui ne lui convient pas, sous un climat qui n’est pas le sien. Tu auras bâclé les soins nécessaires à sa plantation, tu n’auras accordé trop peu de place aux racines d’un tel géant, tu auras dans le passé décapé de la terre à ses pieds, ou tu lui en auras rajouté abusivement, tu auras depuis sa plantation, goudronné dans son environnement, modifier le chemin de l’eau, abîmé son système racinaire. Si tu es dans une de ces situations, tu n’as pas de maladie à chercher, et si tu en trouves une, elle ne sera que secondaire. La soigner ne te donnerais pas grand-chose.

Approchons nous maintenant d’un peu plus près pour observer d’autres symptômes. Là encore, il te faudra examiner toutes les bêtises qui sont de ton ressort. Cimes coupées, grosses branches fortement réduites, branches basses supprimées trop tardivement ou avec excès, couronnes trop éclaircies, couronnes trop allégées, blessures sur les racines, piétinement excessif des racines, blessures sur le tronc. Dans tous ces cas de figures, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même et les « traitements » ne seront que « cautères sur jambe de bois ». La plupart du temps, il suffit d’une seule vilaine taille dans la vie d’un arbre pour que la messe soit dite.

Quand tu auras bien procédé par élimination, il ne te restera pas grand-chose à regarder. Si le mal est fait, tu pourras toujours faire fonctionner tes méninges, pour essayer de déterminer un degré de gravité. Tu as fait tellement de bêtises sur les arbres par le passé, qu’il te faut bien classer tes interventions en fonction de l’urgence des situations.

Signes de dépérissement en périphérie d’un vieil arbre : interdire le piétinement et tenter le mulching en étudiant bien la documentation car il existe un savoir-faire.

Blessures sur racines : empêcher le passage.

Blessures sur tronc : laisser l’arbre faire, éventuellement ovaliser soigneusement la blessure.

Cavités : ne pas les boucher, ne pas les vider ; elles ont avant tout besoin de l’air pour être ventilées, de l’eau comme régulateur thermique. Si elle est mal placée, il va te falloir avoir une idée de sa taille pour affiner le risque « mécanique ».

Fourches incluses : tu n’as pas fait ton boulot au moment des tailles de formations, tu ne résoudras pas grand-chose par l’élagage, il te reste l’haubanage.

Fissures ; elles te renseignent sur un défaut mécanique interne. L’arbre a pu subir une gélivure, un coup de soleil, une blessure. En cherchant à colmater la brèche, son écorce à dessiner une fissure ; il va te falloir maintenant savoir lire le langage des écorces mais il sera très difficile d’évaluer le danger qui serait dans ce cas une fissure interne du bois avec risque d’éclatement par vent fort.

Excroissances au pied ; c’est le même principe que pour les fissures ; l’arbre a cherché à contrer une attaque, une blessure. La forme de son pied est là pour nous mettre la puce à l’oreille ; les blessures infligées par les rotofils ne disparaissent jamais par exemple. Tout cela se passe dans une zone très sensible de l’arbre, le collet. Les contreforts des racines peuvent être magnifiques de puissance, mais un peu comme si chaque départ de racine tirait la couverture à soi. Il faut inspecter très minutieusement les anfractuosités. On peut y rencontrer des cavités très discrètes, du bois dégradé, du peut-être à la compétition des racines entre elles (aaah la compette...), et des fructifications de champignons polypores, elles aussi parfois très discrètes, qu’il ne te faut surtout pas rater.

Courbures basales ; l’arbre, suite un incident de parcours dans sa jeunesse, présente une forte courbure du tronc dans les premiers mètres, sans danger tant que la masse à supporter en hauteur n’est pas trop importante. Un jour, ce ne sera plus la même, et on observera dans le penchant des fibres de l’écorce fortement contrariées, donc prudence.

A propos de penchant, les arbres fortement penchés font peur. Il peut être utile de trouver l’explication de se penchant. En observant la cime, voir que la tête repart à la verticale peut rassurer. A contrario, une cime dans le prolongement du penchant peut faire penser à un arbre dans une phase d’affaissement, donc prudence là encore.

Il est bon de savoir aussi que les feuillus et les résineux ne luttent pas de la même façon face aux forces imposées par le penchant. Les feuillus produisent du bois de réaction à l’arrière, qu’on appelle alors bois de tension, dans une stratégie de « hauban ». Les résineux vont plutôt produire du bois de réaction côté penchant, qu’on appelle cette fois, bois de compression, avec une stratégie cette fois de « tuteur ». Spontanément, on aurait tendance à penser que la stratégie des feuillus est meilleure, ce qui ne serait pas surprenant. Les feuillus sont des angiospermes, donc plantes à fleurs, qui bénéficient d’ovules protégés par un ovaire, contrairement au gymnospermes, dont font partie les résineux. Les angiospermes sont apparus sur terre plus récemment. Grâce à une meilleure stratégie de reproduction, ils dominent aujourd’hui dans le monde végétal.

Dans cette présentation des dangers que peuvent présenter les arbres, il est temps cependant de parler de « maladies ». Quand on parle de « maladies », on parle curieusement surtout des champignons, bactéries et virus, et l’on se garde un autre chapitre pour aborder la question des insectes ravageurs.

Commençons donc par les « maladies », avec en premier lieu, dans le rôle des méchants, les plus visibles, les champignons. La grande majorité sont pourtant des gentils, les symbiotiques, qui aident les arbres à puiser leur nourriture dans le sol, mais, tout comme aux actualités, nous parleront plutôt des méchants. Certains ne sont pas méchants du tout, puisqu’ils ne s’installent que sur le bois mort, pour le décomposer, ce sont les saprophytes. Certains saprophytes peuvent cependant devenir des parasites de faiblesse, qui profitent donc parfois de la situation pour s’attaquer, modérément au bois vivant. Au final, il nous reste quand même une petite collection de « parasitaires » qui eux, peuvent s’avérer vraiment méchants.

Alors, quand on voit un champignon sur un arbre, quelles questions faut-il se poser ? D’abord, est-il parasitaire ou saprophyte ? Supposons qu’il soit parasitaire, à quelle partie de l’arbre ou du bois s’attaque t-il ? Aux racines ? C’est grave. Au bois d’aubier, c'est-à-dire au bois en périphérie, encore fonctionnel biologiquement, donc conducteur de sève ? C’est grave aussi. La mort va intervenir très vite, plus de cambium, plus de circulation de sève, plus de vie. Au bois de cœur, ce bois au centre de l’arbre, qui n’a plus de fonction biologique, mais qui conserve son rôle de colonne vertébrale ? Dans ce cas, l’arbre ne va pas mourir, il va même parfois vivre très longtemps avec son champignon, mais son bois de cœur va doucement se dégrader pour aller parfois jusqu’à disparaître, la « tenue mécanique » de l’arbre est à regarder de près.

Ce que l’on voit, c’est le champignon, ou plus exactement sa fructification. Quand elle est présente, le champignon a déjà, en fait, contaminé l’arbre à grande échelle, il n’y a plus rien à faire, si ce n’est surveiller et parfois abattre, parfois rapidement. La fructification n’est pas toujours là, car si certains champignons ont des fructifications coriaces, présentes tout au long de l’année, d’autres en fabriquent des nouvelles chaque année, et ce n’est pas toute l’année « la saison des champignons ». D’autres encore ne produisent pas de « champignons à chapeau », ou de polypores, on ne les repère alors que sous formes de taches, de suintement, de décoloration de l’écorce, de petites pustules très discrètes, la galère…

Les pourritures engendrées ne sont pas toujours les même ; certaines sont « blanches », le champignon a dévoré la lignine, les fibres du bois en simplifiant, il ne reste que la cellulose, blanche, plutôt molle, spongieuse. D’autres champignons font le contraire, et il ne reste que la lignine, qui se colore souvent en marron, rouille, dans ces tons là. On dit alors que la pourriture est cubique, de consistance plutôt « crouteuse ». D’autres encore dévorent tout en même temps, les spécialistes nous parlent alors d’une pourriture alvéolaire.

Evidemment les champignons « sur bois » ont la vedette, il faut se farcir aussi les champignons sur feuille par exemple, mais s’ils affaiblissent l’arbre provoquant souvent une chute prématurée des feuilles, ils sont rarement mortels.

Pour ce qui est des autres méchants, bactéries et virus, les soucis concernent bien davantage l’arboriculture fruitière, donc relativement peu de soucis pour les arbres d’ornement, à part tout de même le feu bactérien des rosacées, présent depuis longtemps, mais qui concerne une fois encore beaucoup plus les fruitiers.

Enfin, les arbres, le plus souvent affaiblis par une cause primaire, peuvent s’attendre parfois à la visite d’insectes peu sympathiques. On peut distinguer deux catégories les « piqueurs suceurs » que l’on va retrouver le plus souvent dans les feuilles, mais pas toujours. La cochenille du hêtre, qui est une maladie grave dans nos futaies normandes, s’installe sur les troncs. Voilà ce que c’est d’avoir ne écorce peu épaisse...

Et puis, nous avons les costauds, les xylophages, les mangeurs de bois. C’est souvent leurs larves qui sont méchantes en fait. Leurs œufs sont pondus dans les anfractuosités de l’écorce, les voilà creusant des galeries, avec là aussi, deux catégories : la plus grande colonie, ce sont les « sous corticole », juste sous l’écorce. Cambium détruit, mort rapide. Les autres, ce n’est guère mieux, ils creusent à l’intérieur des troncs, sans que l’arbre ne meure rapidement, en les rendant très cassants.

Enfin, la nature, ce n’est pas toujours un monde de bisounours. Certains s’associent pour rendre leurs attaques encore plus performantes. Le champignon Ophostomia novo ulmi  fait transporter ses spores par le scolyte de l’orme, et continue de ce fait à propager la maladie de la graphiose, contribuant au dépérissement de toutes les essences d’orme, en Europe et en Amérique du Nord. Le champignon Nectria coccinea accompagne fréquemment les attaques de cochenille du hêtre, perturbant complètement les tissus conducteurs de sève, provoquant ainsi la mort.

Un cours de diagnostique peut vite devenir le musée des catastrophes, un truc à ne plus oser passer sous un arbre, ce qui est complètement exagéré. Certes, il y a des accidents chaque année, mais sans chiffre véritable à la clé. Il reste encore bien plus dangereux de traverser la rue, ou de monter dans sa voiture. L’arbre est un végétal doté d’une multitude de stratégies, et nous sommes loin d’avoir tout découvert. D’ailleurs si tu as fait de gros progrès ces trente dernières années dans la connaissance des arbres, homo sapiens, dans la plupart des cas rencontrés, dans ton exercice de diagnostique, tu te reposes beaucoup sur nous pour trouver la solution.

Mettons de côté tes interventions pour nos compagnons fruitiers, ou devrais-je plutôt dire nos usines à fruits sous bâches plastiques, les pauvres ne savent même plus qu’ils étaient en des temps pas si éloignés, de vrais arbres. Jouer à ce point avec la nature devrait parfois t’inquiéter, bref.

Mettons de côté aussi nos cousins forestiers, qui bénéficient, bien que rarement, de traitements aériens, surtout contre de méchants insectes, car là le bois a une valeur économique. Excepté ces pulvérisations, nous empruntons beaucoup à la recherche forestière pour trouver parfois certains remèdes, dans le domaine de la lutte biologique ; pièges à phéromones, fourbes que nous sommes. Merci à ces insectes complices qui nous viennent en aide pour réguler la population des vilains.

En définitive, en arboriculture ornementale, nous sommes peut-être auscultés un peu plus qu’avant mais relativement peu traités. Le garage de l’élagueur, au pardon, son local fermé réservé au stockage des produits phytosanitaires, est bien peu garni. Bien souvent les luttes chimiques sont illusoires, dérisoires, vu les volumes en jeu, les hauteurs. Nous sommes condamnés, bien heureusement, aux solutions biologiques. Elles peuvent là aussi s’avérer un peu dérisoires. On parle de milliards de spores de champignons qui se répandent dans l’atmosphère, de populations d’insectes capables de se déplacer sur d’immenses territoires. Sur toutes ces questions, la lutte si lutte il y a, sera avant tout préventive. Evitez toutes les bêtises qui peuvent vous conduire un jour à lutter contre tel ou tel problème car dans la plupart des cas, nous n’aurons que très peu de solutions.

En conclusion, on peut donc rappeler une dernière fois, que les actions antérieures de l’homme sont très souvent la cause d’un problème de dangerosité. Supposons que l’homme, poussant trop loin le bouchon dans le rôle de docteur Foldingue de la nature, finisse en flinguant la biodiversité, par se flinguer lui-même. Les champs deviendraient des landes, qui deviendraient des forêts, stade végétatif en équilibre avec l’endroit, le biotope. Dans une rue, quelques feuilles mortes en décomposition, coincées au pied d’un trottoir accueilleraient une graine insouciante, donnant bientôt naissance à jeune arbre, vigoureux, pionnier. Dans les villes non plus, il ne nous faudrait pas longtemps…

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