les courses

Hier samedi, peut-être avez -vous été..., faire les courses...

Les courses

Kevin sort de son lit ce matin, encore un peu vaseux. Arrivé à la cuisine, il voit que son frigo clignote rouge. Merde, c’est le signal, il va falloir aller faire les courses. Depuis quelques temps, il préfère de nouveau retourner en magasin. La commande par internet avec livraison à domicile a ses limites. Il s’est retrouvé plusieurs fois, avec du jus d’orange, pur à 90%, alors qu’il avait sélectionné le 95. Et puis, ces derniers jours, quelques faits divers l’ont refroidi. Sur le parking d’un « drive », on a retrouvé des employés qui dormaient dans leur bagnole, pour cause de rémunération 10% en dessous du smic. Dans plusieurs autres « drive », on a enregistré des taux de circulation jusqu’à 3 fois supérieurs à la normale, avec comme résultat un taux de collision de caddies complètement exponentiel.

Arrivé sur le parking du magasin, Kevin descend de sa voiture et se dirige tout droit vers le garage à caddies. Un clic sur son bip, et en voilà un qui se décroche automatiquement et vient se positionner devant lui, directement dans le sens de la marche. Il ne reste plus qu’à se placer sur le tapis roulant qui le conduit directement à l’entrée du magasin. Le compteur à l’entrée enregistre sa présence et lui envoie aussitôt sur son portable, les promos en cour en fonction de son profil personnel. Il sait qu’il peut taper directement sur son application le produit qu’il recherche, pour avoir automatiquement, la bonne allée et le bon niveau.

Allez, on va faire ça à l’ancienne aujourd’hui, se dit-il, et le voilà parti à déambuler au gré des allées et des rayons. Il sait bien qu’il avait la fiche signalétique de tous les produits sur internet, mais une association de dinosaures a réussi à imposer pour encore quelques temps, l’affichage en magasin. Sur chaque produits, les informations affichées sont considérables : l’indice « éco », qui renseigne sur le prix avec le détail des coûts de la matière première, de la transformation, du transport, et de la marge du magasin. L’indice « bio » qui renseigne sur l’origine « environnementale » des produits, l’indice « carbone », qui détermine la quantité de carbone rejeté dans l’atmosphère pour la fabrication et l’acheminement, et enfin l’indice « social », où l’on trouve toutes les information sur les conditions de travail de toutes les acteurs de la filière, qui ont permis à ce que ce produit se retrouve aujourd’hui ici en rayon. Il faudrait des heures pour lire tout ça. Heureusement, les sociétés qui mettent au point tous ces indices ont tout prévu. Kevin s’est procuré sur internet le boitier électronique qui lui permet de paramétrer ses achats. Un bip en direction du produit, et un voyant vert clignote si ce paquet correspond à ses préférences. Mieux, la firme américaine « save the world » a mis au point un menu  qui permet de sélectionner aussitôt les achats qui correspondent à votre profil psychologique et sociologique. Au choix, les profils « écolo », « libertaire », « bobo », « middle class », « anar de droite », « cassoce », etc.

Les combinaisons sont possible et conjugables à l’infini. Kevin le sait bien : en début de moi, sa fibre militante l’entraine vers des choix « écolo », ou encore « tiers monde solidaire ». Vers le 28, il redevient comme beaucoup, un cassoce, avec des noms de produits à coucher dehors, mais somme toute mangeables.

La normalisation de tous ces produits représente une part importante du leur coût, tant les contrôles sont draconiens. Hélas les suspicions de magouille, ont encore une fois, refait surface. Un récent reportage à « Envoyé spécial » a mis le feu aux poudres.  Le niveau de vie de tous les dirigeants de « save the world »  a été jugé anormalement élevé, avec pléthore de piscines, voitures de luxe et compagnie. Depuis une multitude de concurrents s’est mis sur le marché, dans une véritable foire d’empoigne.

Ça y est, les courses sont finies. Kevin se dirige vers les caisses. Le temps des queues est révolu depuis longtemps. Un simple passage devant un capteur, et le montant de ses achats sera débité instantanément de son compte en banque. Direction le tapis roulant, le garage à caddie, et hop en voiture, retour à la maison. Avec sa formule combinée « libéral tiers-mondiste », il a un peu galéré.

Le voilà devant son frigo, en train de bipper tous ses produits avant de trouver une place à chacun. Un coup d’œil à son application « santé » lui donne dans la seconde les implications potentielles de ses achats dans ses problèmes de santé futurs. Kevin peut enfin tout « fermer ». Il fume maintenant sa clope « bio » sur son balcon ensoleillé, avec une vue imprenable sur la Durance. Kevin repense parfois à ce reportage qu’il a vu, il y a quelques temps, sur un élevage industriels de cochons, où tout est calculé au millimètre, de la pisse produite, jusqu’à la consommation de farine pur «  je ne sais quoi ». Kevin ne se sent pas très bien. Parfois, il a l’impression d’être un de ces  cochons d’élevage. Il s’est déjà vu aller s’approvisionner plusieurs fois en alcool formule « cassoce », il est temps qu’il aille faire un tour sur le site « évaluer votre santé mentale ». A peine a-t-il « valider » que l’ordi se met à clignoter en grosses lettres rouges sur tout l’écran : retourne vite au marché !!!