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13 mars 2014

épicéa

 Epicéa

On m’appelle l’épicéa commun. De par le droit du sol, je suis français, depuis fort longtemps. Je ne me soucie guère de cette particularité, car je peux être aussi bien scandinave, allemand, autrichien, polonais, russe et pardon pour tous les pays que je ne cite pas. En France, je vous ai d’abord observé du haut de mes montagnes, les Vosges, le Jura, et bien sûr les Alpes, où j’ai eu l’occasion de susciter, il y a maintenant quelques décennies, de belles vocations forestières.

Je subis dans le silence, depuis la nuit des temps la sourde et profonde injustice de me voir affubler du nom d’un de mes frères de forêt, le sapin, qui a raflé la mise, en matière de littérature, contes pour enfants et autre légendes de toutes sortes. Quand on pense que je suis le véritable « sapin de Noël », c’est un comble…img_6636_0

Peu m’importe, après tout, que mon véritable nom ne soit pas associé à cette tradition qui conduit à sacrifier chaque année des milliers de mes enfants à peine sortis de l’enfance, à être le symbole de Noël dans de nombreux foyers, pour finir à la poubelle, ou au mieux, replanté dans le jardin, et de toute façon abattu vint ans plus tard, car devenu trop grand pour ma famille d’accueil ou déjà fatigué, car jamais remis de ce passage éphémère dans la chaleur des maisons, si loin de mon ambiance forestière. L’homme, fatigué, lui aussi, de me voir perdre si vite mes aiguilles qui viennent remplir ses sacs d’aspirateur, me remplace, chaque année un peu plus, par un cousin d'Asie occidentale, imperturbable, ses aiguilles rivées jusqu’à sa mort à ses rameaux, un intrus dans cette tradition de Noël, et qui est lui, ironie du sort, un véritable sapin. Me voici donc coincé sur ce « marché », entre le sapin de Nordmann, et le sapin en plastique. Je deviens tout doucement, au fil des ans, le sapin de Noël du pauvre. Ma carrière dans ce domaine est loin d’être achevée, car il ya chaque année de plus en plus de pauvres.T

Je serais vraiment ingrat de me plaindre de l’indifférence de l’homme, car j’ai eu plus que mon heure de gloire à ses yeux. Dans les années d’après guerre, beaucoup de choses vont changer. L’agriculture se doit de devenir intensive pour survivre et délaisse de vastes territoires peu adaptés à ce virage économique. Ailleurs d’autres bois ou forêts ne conviennent guère aux évolutions de la société. L’homme se chauffe de moins en moins au bois, et quelques amis qui s’étaient beaucoup consacré aux besoins thermiques d’homo sapiens, par le biais de taillis qui se sont progressivement essoufflés, ne retiennent plus beaucoup l’attention. L’homme est de manière générale peu reconnaissant. Mon copain le châtaigner avec qui je faisais connaissance dans les années soixante me racontait à quel point il avait été le pilier de l’économie de régions entières, source d’alimentation de l’homme et des animaux, impliqué dans la culture du vers à soie, fournisseurs de piquets, barriques,  paniers et de tant d’autres choses, avant de finir décimé par de graves maladies. Son utilisation en peuplements purs sur de trop vastes surfaces l’avait conduit à sa perte, histoire tant de fois répétée, que je finirais par vivre moi-même quelques années plus tard.  
ha-epicea-commun-bio

Pour l’heure, je suis enivré par tant de sollicitations soudaines. De vastes territoires s’ouvrent à moi, et me voici apparaitre dans les Pyrénées, le Massif central, où je retrouve des conditions assez semblables à celles de mes origines. Mais mon succès est tel que je finis par arriver aussi en plaine, sur d’anciennes terres agricoles, où mes racines, tellement plus à l’aise dans l’humus forestier, ont nettement plus de mal à assumer cette transition forcée pour construire d’autres paysages. D’ailleurs, je suis loin de faire l’unanimité, moi, le nouveau colonisateur, qui n’est pourtant rien demandé à personne, on me reproche ici ou là, ma monoculture, mon hégémonie, car je ne laisse pousser personne sous mon feuillage, et mes aiguilles sont accusées d’acidifier le sol, autant de critiques que je n’avais jamais rencontrées dans « mon pays », où je vis parfaitement en harmonie avec mes congénères. Planté en ligne, pour faciliter ma « récolte » future, je défigure même le paysage.

Mon calvaire n’est pourtant pas fini. Entassés comme des sardines, jusqu’à parfois 2500 plants à l’hectare, nous nous retrouverons vingt ans plus tard, parfois même trente, ou même définitivement, toujours aussi serrés car nos nouveaux maîtres peinent à venir sacrifier assez vite quelques uns d’entre nous pour que nous arrivions à pousser convenablement. Résultat certains congénères s’écroulent bientôt en « château de carte » sur leurs parcelles et voient arriver de charmantes bestioles attirées par la chair fraiche de leur bois, que l’on appellera du nom charmant d’insectes ravageurs. Me voilà donc encore affublé d’une nouvelle tare, sensible au vent, source de « chablis ».

Ce tableau bien noir cède un peu trop la place au catastrophisme, laissant la part belle à « ce qui ne va pas », maladie humaine bien connue depuis la nuit des temps. En fait, je poursuis mon petit bonhomme de chemin. L’industrie papetière m’adore, courtisé pour mon bois qui ne se colore pas de rouge en son cœur. Je suis le champion de l’approvisionnement en « pâte mécanique » très prisée pour la confection du papier journal. En ces temps pré-numériques, mon succès est foudroyant. Et puis, après tout, je suis toujours et encore le numéro un pour la commercialisation de bois d’œuvre en Europe, destiné à la menuiserie, à la charpente. Je sais aussi me faire poète à mes heures, de nombreux  violons et pianos peuvent me remercier d’avoir poussé parfois avec patience en de toutes petites cernes.

Dans cette conquête de l’Ouest, qui se poursuit, avec le cortège de ces essences de reboisement, bien que longtemps leader, je vais finir par laisser ma place à un autre cousin d’Amérique. Il pousse plus vite, monte plus haut et résiste mieux à nos ennemis de petite taille, champignons parasites racinaires, scolytes jouant aux mineurs sous nos écorces dans d’interminables galeries. Le cœur du sapin de Douglas devient rouge lui, mais qu’importe car les forestiers gagnent bien peu d’argent avec la pâte à papier, et les hommes achètent de moins en moins de journaux. Comme bien d’autres avant moi, je dois laisser ma place, regarder avec stoïcisme, l’évolution des temps. Les américains fascinent, le sapin de Douglas pousse très vite en forêt, le séquoia, lui, est une star internationale depuis déjà longtemps dans les parcs d’ornement. Je souris humblement devant ces effets de mode, bien tranquille au creux de mes forêt, regardant tout ce cirque avec sagesse, du haut parfois de mes cinquante mètres de haut.

J’ai été bien souvent tenté de me réfugier dans ma solitude alpine ou vosgienne, non aligné en rang d’oignon, avec tous mes compagnons de jeu, hêtres, sapins, sorbiers, alisiers, bouleaux, frênes, érables, trembles et tous les autres, dans une multitude de couleurs et de senteurs, mais à quoi bon, il est trop tard, je suis maintenant partout, les dés sont jetés, je ne demande qu’à vivre là où je suis, en bonne harmonie avec mes semblables, les tares dont j’ai été accusées venant bien souvent de la main l’homme.   5cf44bb43edc8e78ad6ece6bc278f0d9-eb846cb1faf672239b76a726238b0397

Depuis quelques temps, nous voyons venir de nouveaux venus dans la forêt. Que nous soyons épicéas, douglas ou pins, trop frêles ou trop branchus, avec des cernes petites ou grosses, ils s’en contrefichent éperdument. Ils ouvrent leurs énormes gueules pleines de couteaux acérés, et nous voilà tous logés à la même enseigne, réduits à l’état de plaquettes, parfois même accompagnés de nos aiguilles. Les broyeurs se retirent, les semi-remorques vont livrer, laissant la forêt, vide. Décidément l’homme continue de nous faire de bonnes surprises, pas le temps de se retourner d’une génération à l’autre.

Alors la nostalgie de mes montagnes me reprend, une fois de plus, pétris d’angoisse cette fois pour toutes ces contrées bientôt meurtries, mais avec toujours en coin un petit sourire, car quelques petits amis ont plus d’un tour dans leur sac. On les appelle les pionniers, parfois même les invasifs. La nature, même meurtrie, laissée à l’abandon, redevient toujours, avec le temps nécessaire, une forêt, du moins tant que les monstres resteront au bord des parcelles et tant qu’il restera, des forestiers.

epicea

Lien livres: TheBookEdition

 

 

 

 

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