Traces

Traces 

Purée, pendant un moment, j’ai cru que je n’aurai plus rien à écrire. Mon ami Philou m’avait prévenu, on a peur, et puis, ça revient ; c’est revenu. Ouf !

Il parait que tout ce qu’on fait avec un ordi, on a beau tout effacer, il conserve des traces, bigre, diantre, ça fout les j’tons. En même temps, je me demande si tout ce que mes yeux voient à la télé, ne me laisse pas non plus des traces dans le cerveau ; à part peut-être les programmes de NRJ 12. Je suis un injuste, il y en a beaucoup d’autres, en fait presque toutes, bref, voici quelques traces.

Nous sommes dans un terrain de camping, au Maroc. L’endroit est bien aménagé. On découvre un alignement de mobil homes, de caravanes, camping cars, plutôt haut de gamme. Sur les hauteurs du camping, les mieux lotis, dans des petits chalets tout aménagé, partout le confort occidental moderne.

Un campeur (!!!) nous fait visiter, c’est beau, c’est magnifique, il y a même deux télés, une pour lui, une pour Madame, bientôt la coupe du monde de foot, pas question de se disputer sur le programme.

Oui, dans le camping, il n’y a que des couples, tous retraités, presque tous français. Ils sont là six mois, durée maximum pour ne pas payer d’impôts au Maroc. Le restant de l’année, l’été je suppose, ils rentrent en France, ce terrible pays où Papa François, descendu du toit, vient déposer ses taxes par milliers. Le reporter les appellent des cigognes, c’est mignon comme tout. Les cigognes, en Alsace, sont chez elles, arrivées en Afrique, elles sont toujours chez elles, c’est le propre des oiseaux migrateurs ; nos gentils petits retraités ne sont pas chez eux ici.

On les voit beaucoup vivre entre eux, l’apéro, les boules, et le repas couscous, tous les vendredis tous ensemble. Bon, nous sommes tout de même au Maroc. En voilà un qui part faire un tour à dos de chameau, avec un gars qui lui tient le chameau quand même. Oh c’est pas si con, en France, on fait bien faire des tours de poneys aux gosses. Et puis, ils en voient quand même des marocains. Il y a ce vendeur de légumes, qui fait vingt bornes avec sa mobylette, pour nourrir toute sa marmaille à la maison. Arrivé au camping, Georgette, on l’appellera Georgette, lui dit que ses asperges sont trop chères. Pour le même prix, elle veut trois bottes, au lieu de deux. Notre petit motard s’exécute. Oh, il doit bien s’y retrouver, il les vendra toujours un peu plus cher ici, qu’avec ses congénères marocains. De toute façon, Georgette lui a bien fait comprendre qu’il a intérêt, sinon elle trouvera un autre petit motard.

Le journaliste finit par se passionner pour Georgette. Georgette est plus masculine que son mari. N’allez pas chercher midi à quatorze heure, son mari est très loin d’avoir la féminité d’Arielle Domballe ; bref Georgette ne me provoque aucune poussée hormonale, oui je sais, c’est très bas. Georgette compense autrement, on l’a vu, c’est une redoutable négociatrice. La voici au marché en train d’acheter des chaussures, oui pour femme, tout de même. Le marchand lui dit 28 dirhams. Elle luit répond qu’elle part avec à 20. Il baisse à 24. Elle lui rétorque que c’est 20 ou rien. Le gars lui dit qu’elle peut partir avec à 22. Georgette s’en va. Le gars lui laisse ses pompes à 20. La négociation a duré 30 secondes. Qu’aurait fait ce marchand sans la caméra, sachant qu’une caméra de télévision ne traduit la réalité des choses que quand elle est invisible, et quand le journaliste est invisible lui aussi, c’est encore mieux ?

J’imagine les marocains discuter entre eux. Sommes nous, nous les blancs, des gros cons avec du fric, ou les représentants d’une civilisation raffinée et brillante ? Je fais mine de m’interroger, c’est  faux, je ne m’interroge pas du tout. La télé grouille de reportages sur nos retraités partis immigrer pour leur vieux jours, en Afrique, en Asie, là où tout est moins cher, les maisons, la nourriture, les gens aussi, les cuisiniers, les jardiniers, partout accueillis comme des rois, brillants représentants d’une civilisation qui a marqué l’histoire, elle.

Nous sommes maintenant dans un wagon de train de nuit italien, qui roule vers Vintimille. A bord, un groupe de « sans papier », en provenance de Tunisie me semble t-il. J’ai raté le début du reportage, je ne connais pas leur parcours, la Sicile, Lampedusa, si ils sont tous en provenance de Palerme. Dans le wagon, c’est le silence, l’angoisse, la crainte de la police des frontières. Ils se renseignent auprès d’un jeune français présent dans le wagon. Le gars leur donne des conseils : « à l’arrivée, ne restez pas groupés, dispersez vous, donnez l’impression de savoir où vous allez. » Il me fait chaud au cœur, je croyais que nous étions soixante millions de bœufs, qui ne pensent qu’à remettre les postes frontière, construire des murs, les remettre dans un avion, où les rebalancer à la mer. Je dois être un cauchemar pour Marine, je suis prêt à les accueillir, leur donner à bouffer, leur redonner envie de vivre. Naïf moi, pas vraiment. Je sais qu’ils sont nombreux à vouloir nous enculer, les arabes, les juifs, et les chinois, ah la la les chinois ! Entre notre mère patrie, et leurs intérêts personnels, famille, pognon, le choix est vite fait. Que ferais-je à leur place. Honnêtement, je n’ai jamais débarqué pauvre, dans un pays riche, alors, je n’en sais fichtre rien de ce que je ferais. Je sais que ce mec à qui je vais tendre la main, je sais qu’il ne m’enculera jamais, ça je le sais. Les mômes, arrivés à Nice, se dispersent dans la nuit, chacun pour soi, et bonne chance à tous.

Notre François a encore déconné : « Emmanuel est revenu d’Algérie sain et sauf » et ça, en allant voir la communauté juive, c’est vrai que là, il a fait fort le François. On est à la limite de l’accident diplomatique ! Notre bon vieux Jean Luc y va plein pot, je n’avais pas remarqué que dans son verbe, il avait le respect des personnes, lui. Toujours chez nous, à la tribune, Valérie Pécresse donnant une leçon de « président » à François. Elle est belle cette femme, mais mon démarto m’a confirmé qu’elle est pour moi, un allergène, quel dommage !

Alors bien sûr, au sommet de l’état algérien, on est offusqué. L’Algérie, un pays qui a réussi à nous mettre, vraiment, dehors, c’est quand même génial ! Maintenant, tous ces sbires au micro, avec leurs mains qui empestent le pétrole, question respect de l’humain, à commencer par leur propre peuple, ça a de quoi un peu énervé. François, t’as vraiment merdé, si ça trouve, tu es beaucoup plus respectueux qu’eux  du peuple algérien. Purée, j’espère que Badré ne va pas me tuer !

Sur ces bonnes nouvelles, je vous souhaite un joyeux Noël à tous !